Critiques // Critique. Richard III de William Shakespeare. Mise en scène de Jérémie le Louët. Théâtre 13

Critique. Richard III de William Shakespeare. Mise en scène de Jérémie le Louët. Théâtre 13

Nov 15, 2012 | Aucun commentaire sur Critique. Richard III de William Shakespeare. Mise en scène de Jérémie le Louët. Théâtre 13

Critique d’Anna Grahm

La compagnie des Dramaticules créée en 2002 nous propose une réflexion sur le pouvoir à travers le duc de Gloucester, qui va, pour arriver au trône, conduire tout son entourage à la mort.

La raison du plus fort

Dès le début du spectacle, l’ambiance despotique est en germe. La scène est plongée dans le noir, dans le fond des hommes assis, attendent. A l’avant scène, un homme au micro susurre sa rancœur et son ambition dévorante. Dès les premiers mots, l’homme angoisse. Son souffle triture le verbe, relie la poésie à des déclarations puantes et son phrasé mielleux ressemble à sa façon de marcher. Oblique. Derrière lui, un homme gisant sous une couverture rouge a déjà fait les frais, de ses penchants macabres. L’homme qui parle, dit  n’avoir «  ni pitié, ni amour, ni crainte », et s’il va droit au but, il avance en crabe et montre avec délectation ses deux visages. L’un est de chercher la sympathie publique, l’autre est d’armer le bras de ceux qui l’écoutent. Sa capacité de nuire est sans limite et il va s’employer à faire le mal pour le mal tout en conservant une distance glacée, restant ainsi habilement drapé dans une cynique jouxte oratoire. Son jeu fourbe de caméléon va réussir à pousser d’une main de maître, tous ceux qui se laissent abuser, six pieds sous terre. Car le tyran est porté par une singulière absence de résistance, et c’est grâce à une résignation collective que sa monstruosité sans borne pourra s’épanouir. Car le mal s’appuie sur ce qui, autour de lui, est corruptible.

Tout est susceptible d’être corrompu quand la terreur et l’indécision travaillent à démissionner plutôt qu’à gouverner. Plutôt que de dénoncer les traitrises et les crimes à mi voix, plutôt que de se contenter de larmoyer, ceux qui se cantonnent au mépris ou aux larmes seront méprisés, persécutés, exécutés. Le simulateur, assoiffé de vengeances, qui ne rencontrera que cris et visages tordus par les lamentations, profitera de cet enlisement du courage pour étancher sa soif sanguinaire.

La monarchie qu’il veut décimer s’appuie sur la loi divine mais devant un homme sans foi ni loi, la raison du plus fort, laisse le royaume des hommes, sans droit, sans vie.

L’irrésistible ascension des médiocres

Une couronne, des poignards, des costumes intemporels. Les noms des rois se confondent, le chemin est jonché de cadavres, le crime entraine le crime. Comme pour rappeler ce qui ne cesse de revenir. Un micro, des bancs, des néons. Comme pour l’inscrire dans la modernité. Tout est noir et blanc avec des touches de rouges violents. Tout le dispositif se transforme à vue. Tout est vice fièvre et haine. Tout est magnifiquement structuré par le seul travail des lumières de Thomas Chrétien. Tout est donné par l’engagement des acteurs, qui est parfois inégal, saluons le charisme de Dominique Massa, splendide Élisabeth. Regrettons la présence d’homme pour incarner une figure féminine qui déséquilibre par sa voix de fausset, la mécanique épurée mise à l’œuvre. L’archétype du salaud empoigné par Jérémie Le Louêt est très réussi et le parti pris esthétique laisse entrevoir l’idée d’un dédoublement de la personnalité, lequel est également suggéré dans la dramaturgie de la prison, par les bourreaux jumeaux. Il nous manque cependant quelques évènements historiques pour faire comprendre les prises de décisions qui ont amené notre héros démoniaque sur le champ de bataille.

Voilà l’immoral, la méchanceté, la déraison qui accède au pouvoir. Voilà « le mal façonné, déformé inachevé » heureux d’imposer sa loi. Les Machiavel de notre histoire du monde surgissent et font entendre ceux qui sont morts d’avoir « perdu l’avantage sur leurs adversaires ».

Il est toujours utile, en ces temps fragiles, de se répéter que la force sans justice est tyrannie, qu’une force mal conduite, mal instruite fait l’homme inhumain.

Le plaisir du roi félon à utiliser la ruse, à mentir, calomnier, son ironie face aux victimes, sa façon d’énoncer ses calculs monstrueux, emporte l’adhésion de notre œil scrutateur. Richard III est un théâtre de marionnettes où le manipulateur orchestre sa propre destruction et se retrouve broyé par ses seules intentions. Pour Shakespeare la valeur d’une histoire « est d’imposer à l’homme la conscience de sa dégradation ». Pour nous aujourd’hui, c’est d’admettre comme Jan Kott que ses personnages nous parlent toujours, « Leur violence est la nôtre, celle de notre temps ».

Richard III de William Shakespeare
Mise en scène de Jérémie le Louët
Avec Julien Buchy, Anthony Courret, Jonathan Frajenberg, Noémie Guedj, Jérémie Le Louët, David Maison, Dominique Massat, et Stéphane Mercoyrol
Du 13 novembre au 23 décembre 2012  – Mardi jeudi samedi à 19h30 – Mercredi et vendredi à 20h30 – Dimanche 15h30

Théâtre 13/Seine
30 rue du Chevaleret 75013
Métro Bibliothèque F. Mitterrand
Réservations : 01 45 88 62 22
http://www.theatre13.com/

Pour Nicolas Machiavel : la raison du plus faible n’est jamais assez forte puisqu’elle perd l’avantage sur son adversaire.

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