Critiques // Critique . Ravel de jean Echenoz. Mise en scène Anne-Marie Lazarini au Théâtre Artistic Athévains.

Critique . Ravel de jean Echenoz. Mise en scène Anne-Marie Lazarini au Théâtre Artistic Athévains.

Mar 30, 2013 | Aucun commentaire sur Critique . Ravel de jean Echenoz. Mise en scène Anne-Marie Lazarini au Théâtre Artistic Athévains.

ƒƒ Critique Anna Grahm

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© Marion Duhamel

Les dix dernières années de Maurice Ravel

C’est dans un décor couleur paquet de Gauloise que va se raconter les dix dernières années de Ravel. Quelques objets représentent le monde qu’il traverse. Un piano à queue, un fauteuil, une table, un petit train électrique, une énorme valise, la maquette d’un paquebot, la représentation de la statue de liberté, une baignoire, une maison de poupée. Une étrange atmosphère blues plane. Son monde ressemble à une fiction, les personnages à Gulliver, les lieux en modèle réduit prennent corps au fil du récit, s’animent d’un rien, d’un geste, d’une phrase se remplissent de vie. Trois acteurs et un musicien orchestrent ce voyage dans le temps, façonnent un quai de gare, sculptent une foule, fabriquent de la solitude. Car Ravel est avant tout un solitaire, difficile à cerner, il s’habille de mystère que nul n’ose démystifier. Et c’est sous l’œil attentif d’Echenoz qu’il va, un peu, peu à peu, se révéler. C’est à force de gros plans, qu’entre les lignes on commence à l’approcher. Un dandy se profile. On le prend au vol, on le découvre par petites touches, d’abord méticuleux, presque maniaque, on l’attrape dans sa salle de bain qui se prépare mollement à sortir, tandis que dehors on l’attend, on le saisit parfois, on le presse doucement, à peine, on patiente avec lui énormément.

Tout se passe entre 1928 et 1937, à l’heure où Ravel s’ennuie, se dérobe et cultive l’absence. Et si sa silhouette se dessine dans son smoking blanc, voyage d’un continent à l’autre, si elle frôle d’autres êtres, croise Gershwin, se nourrit de Conrad et se remplit de mondanités, l’homme n’est jamais vraiment là où on l’attend. Ravel rêve, Ravel reste à distance, Echenoz s’approche de Ravel, promène son œil sur lui, tâche de remplir les nombreux vides de son personnage, mais Ravel s’échappe, reste flou, flotte sans se plaindre, attend, mais Ravel se dérobe du tissu des relations qui l’entoure, l’homme reste délibérément une énigme.

« Les interprètes sont des esclaves » Maurice Ravel

Anne-Marie Lazarini lève le voile sur les contradictions de « l’homme sec mais chic » qui va connaître la consécration. Sa mise en scène met en lumière la pudeur d’un homme secret, en même temps que la vie sociale tumultueuse qu’engendre le succès. Elle va nous laisser deviner le processus de création qui travaille dans les replis de l’ennui, qui toujours à l’œuvre dans les volutes d’une cigarette, poursuit un projet en marge de la vraie vie. Elle va, avec humour, nous promener d’un salon feutré première classe, aux clubs de Jazz de Harlem, va nous entrouvrir les portes de la maison biscornue du musicien, remodeler « le format du jockey » en Humphrey Bogart insomniaque et asexué. La partition est ici délicate et l’on est sensible à la voix a capella qui à l’instar de Don quichotte se déclare à sa dulcinée. Et l’on est transporté par les envolées du pianiste qui nous embarque dans la rêverie et l’on comprend soudain clairement l’origine de l’inspiration du célèbre Boléro. Quant à l’image de la dernière cigarette, elle est une mélodie où tout est dit.

Tout est presque dit des habitudes de l’artiste et de l’impossibilité à tout expliquer. Dans Ravel il y a une multitude de mondes clos. Il y a le France, le whisky, les costumes, il y a du célibat, de l’errance et des petites manies. Mais est-ce que le sujet Ravel est vraiment le sujet du livre ou est-ce que Ravel était un prétexte pour parler d’Echenoz. Est-ce qu’entre 1928 et 1937 il n’y avait pas l’émergence d’autres forces, est-ce que la simple évocation du journal « l’intransigeant »suffit à énoncer ce qui était en train d’arriver. Peut-être qu’éluder la montée du fascisme nous fait mieux entendre la petite musique répétitive, « Je vais essayer de le redire un bon nombre de fois, sans aucun développement » écrivait Ravel à propos de l’exécution de son Boléro. « Le Boléro doit être exécuté à un tempo unique du début jusqu’à la fin », et nous, du début jusqu’à la fin nous sommes pris par la finesse de l’interprétation, sous le charme de ce témoignage à trous.

 

Ravel
De Jean Echenoz
Mise en scène Anne-Marie Lazarini
Assistant mise en scène Bruno Andrieux
Musique originale Andy Emler
Décor et lumière François Cabanat
Avec coco Felgeirolles, Michel Ouimet, Marc Schapira
Et en alternance Andy Emler et Yvan Robilliard
Jusqu’ au 5 mai 2013
Mardi 20 h – Mercredi jeudi 19h  – Vendredi samedi 20h30 – Dimanche 16h

Théâtre Artistic Athévains
45 bis rue Richard Lenoir  75011 Paris
Métro : voltaire
Réservations : 01 43 56 38 32
http://www.artistic-athevains.com/

 

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