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Critique • « Raoul » de James Thierrée au Théâtre de la Ville (reprise)

Déc 30, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « Raoul » de James Thierrée au Théâtre de la Ville (reprise)

Critique de Ottavia Lochi

L’Explorateur des dimensions enfouies.

Seul James Thierrée a le pouvoir de raconter des histoires indicibles. Ses spectacles se vivent, se décrivent, se ressentent mais ne se racontent pas. Un langage métaphorique, voire symbolique, qui laisse son corps et notre imagination en toute liberté.

Dans « Raoul », son premier spectacle en “solo”, James Thierrée nous invite à partir avec Raoul (un double de lui-même ?), qu’il trouve dans une habitation entre hautes barres de métal et drapés. Un décor qui semble inébranlable, mais ne vous y fiez pas, Raoul dévoile sa fragilité, et, en entrant dans ces murs, ouvre la boîte de Pandore…
Sommes-nous dans un cauchemar ? Ou dans un rêve merveilleux où un tapis se métamorphose en radeau en plein océan ? Ou encore, est-ce un voyage intérieur, dans cette caverne aux merveilles et aux ombres portées ? Peut-être un peu de tout cela…

© Richard Haughton

La Performance au service de l’Art.

La spécialité de James Thierrée est de mêler les arts en scène, sans jamais entrer dans une catégorie précise. Ce n’est ni de la danse, ni de la magie, ni du théâtre, ni de l’acrobatie et pourtant c’est aussi tout cela à la fois, relié par le fil invisible et si saillant qu’est la poésie.

Dans ce monde sans codes où rien n’est impossible, Raoul se heurte à plusieurs formes vivantes : la nature, les objets, les animaux, et surtout lui-même.
Enfiler une veste, trouver une position pour lire, ou se servir du thé deviennent de véritables travaux d’Hercule ! Il va jusqu’à se disloquer, se muer en cheval puis en gorille, et même se tourner une toupie sur la tête pour se remettre les idées en place.
Il a aussi cette capacité de donner une véritable âme aux objets qui l’entourent, que ce soit le gramophone avec lequel il lutte pour écouter un vinyle, ou les parois de cette forteresse, dont il calme l’agitation en les caressant ou en vibrant. Chez James/Raoul, rien n’est immuable, tout se transforme. Un rideau peut devenir une couverture, et une plaque ronde réfléchissante un remarquable partenaire de danse. Une sorte d’animisme tranquille qui s’harmonise avec l’ambiance solitaire, grandiose et poussiéreuse du monde de Raoul.
Les animaux reviennent souvent, plus fascinants que dangereux. Un poisson rampant/glissant vient lui rendre visite, il se bat avec une crevette scintillante, danse avec une méduse et câline un éléphant plein de tendresse. Cela paraît fou ? C’est au contraire d’une logique implacable !

Un héritier pas comme les autres !

James Spencer Henry Edmond Marcel Thierrée, son nom complet, est le petit-fils de Charlie Chaplin — comment l’introduire sans mentionner son ravissant arbre généalogique ?
Formé aux arts du cirque par ses parents Victoria Chaplin et Jean-Baptiste Thierrée dès sa plus tendre enfance, le créateur de « Raoul » (2009) n’en est pas à son premier essai : « La Symphonie du Hanneton » (1998) avait déjà remporté le prix Adami en 2005 et pas moins de quatre Molières en 2006. Depuis, ce spectacle fait le tour du monde et « La Veillée des Abbysses » (2003) puis « Au revoir Parapluie » (2007) voient le jour. Parallèlement, il s’essaie au théâtre et au cinéma, entre autres sous la direction de Peter Greenaway, Bob Wilson, Coline Serreau, ou Tony Gatlif.

© Richard Haughton

Peut-être profite-t-il de la présence de ses parents sur la scène parisienne (1) pour reprendre son spectacle, toujours est-il que depuis son premier succès, ses spectacles se jouent à guichet fermé. Et pour cause ! Encensé par la presse, l’artiste n’a pas son pareil dans la création actuelle.

Raoul, un double ou un personnage à part entière ?

Ce n’est pas le prénom le plus “glamour” pour un personnage principal… « Raoul, c’est juste quelqu’un. Ce n’est pas un super- héros, mais c’est un monde en soi. Raoul, ça peut être le voisin d’à côté, et comme chacun, il renferme un infini royaume » (2) explique J. Thierrée. Alors c’est cet « infini royaume » que nous avons la chance de percevoir. Pas de limites. D’ailleurs, James Thierrée n’a pas peur de la hauteur (son passé de trapéziste y est sûrement pour quelque chose) et il ne résiste pas à grimper tout là haut, défiant l’attraction terrestre, pour nager dans les airs ou s’envoler sur des drapés.
Alors, faut-il séparer James Thierrée de Raoul ? Qui voyons-nous sur scène ? Et qui se tapit dans l’ombre ? Qui disparaît quand il réapparaît ? Le mystère a bien une justification quelque part, mais finalement, nous pouvons la laisser en coulisses pendant que James danse.

Une émotion sur pattes, un danseur remarquable, un poète traqué, une âme perdue, un humour étonnant, un comédien bouillonnant, il incarne à lui seul une palette fabuleuse de talents. Et au-delà même de la performance, sa sensibilité nous embarque dans un ailleurs qui n’appartient qu’à lui, mais qu’il nous offre avec une telle générosité qu’on ne peut pas l’oublier.

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  1. Le Cirque Invisible de Victoria Chaplin et Jean-Baptiste Thierrée, au Théâtre du Rond-Point » voir l’article
  2. Propos recueillis par Alexandre Debatty, Vers l’Avenir, 21 avril 2009

Raoul
De, mise en scène et interprétation : James Thierrée
Costume, bestiaire : Victoria Chaplin
Son : Thomas Delot
Lumières : Jérôme Sabre
Scénographie : James Thierrée
Interventions scéniques : Mehdi Duman
Assistantes à la mise en scène : Laetitia Hélin et Sidonie Pigeon
Intervenants artistiques : Kaori Ito, Magnus Jakobsson, Bruno Fontaine
Volutes électriques : Matthieu Chedid

Du 28 décembre 2011 au 10 janvier 2012
Du lundi au samedi à 20h30, le 7 déc. À 17h (relâche les 31 déc., 5 et 9 jan.)

Théâtre de la Ville
2 place du Châtelet, Paris 4e
M° Châtelet — Réservations 01 42 74 22 77
www.theatredelaville-paris.com

Site de la Compagnie : www.compagnieduhanneton.com

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