ƒ Critique de Djalila Dechache
Montée pour la première fois à Paris par un jeune metteur en scène plein d’idées et d’enthousiasme communicatif, Ulysse di Gregorio, la pièce de Pinter évoque l’absence à soi. Une absence de plusieurs années, suite à un coma d’une jeune fille qui se réveille enfin au bout de plusieurs années.
Qu’est devenu le monde ? Que s’est-il passé dans cette « sorte d’Alaska » au temps arrêté, au temps suspendu ?
Comme quelque chose qui ne reviendra plus …
Dans un esprit de théâtre distancié, avec des arrêts entre les mots, entre les syllabes, des phrases blanches comme un drap, des gestes rares et lents, les deux comédiens, le docteur et Pauline, la sœur, se tiennent raides et absents, pleurent silencieusement et c’est encore plus difficile à supporter. Deborah aussi. Elle revient de sa nuit et veut comprendre ce qui se passe, ce qui se trame sans en avoir les réponses. C’est elle la plus vivante et pourtant…
Le texte est magnifique par un auteur habitué aux scénarii, avec des dialogues et des soliloques ciselés donnant une part centrale au silence, au temps qui déchire les êtres et les choses. Dans « Le Retour » du même auteur, présenté cette saison à l’Odéon dans une mise en scène de Luc Bondy, les personnages butaient sur leur difficulté à communiquer, préférant laisser faire que réagir dans un univers glauque de confusion des sentiments. « Une sorte d’Alaska » renvoie également à notre impossibilité à saisir le réel de la vie. Nul ne le peut. Ni Déborah, ni Pauline, ni la science incarnée par le docteur. Ni personne. C’est la prison dans laquelle nous sommes enfermés sans le savoir, et le sachant sans pouvoir le comprendre parfois. Chaque jour ? Ne perdons nous pas quelque chose qui ne reviendra plus, de nous, des autres, de ce qui nous construit ? N’est-ce pas notre fardeau ?
La pièce se termine par un « Merci » donné dans un souffle suivi par le noir total par Déborah et c’est très beau. Fort heureusement.
On ne peut que saluer ce travail de mise en scène et de direction d’acteurs d’Ulysse di Gregorio, qui a su restituer l’atmosphère déroutante et violente, totalement intériorisée des personnages.
Une sorte d’Alaska de Harold Pinter
Mise en scène Ulysse Di Gregorio
Avec Dorothée Deblaton, Grégoire Pallardy, Marinelly Vaslon
CostumesSimon Bes
Jusqu’au 6 avril 2013, vendredi et samedi 21h30Aktéon Théâtre
11 rue du Général Blaise 75011 Paris
Métro Saint-Ambroise
Réservation : 01 43 38 74 62
http://www.akteon.fr