Critique de Camille Hazard –
Nous avions découvert Thomas Bouvet et la Compagnie Def Maira lors du Festival Impatience 2010 à l’Odéon, dans une mise en scène convaincante et débordante d’énergie de « La Cruche Cassée » de Kleist (1). « Phèdre » est l’une des toutes premières créations de la Compagnie, programmée cette année au théâtre de Vanves.
Thomas Bouvet imprime fortement son empreinte, ses questionnements à travers ses mises en scène. On ressent, tout en s’attelant à des textes et à des auteurs très différents, son besoin de creuser, de poursuivre un travail artistique continu. On retrouve ainsi, non sans plaisir, tout un travail de recherche sur la lumière, sur l’expressivité des visages, des corps et des voix. Et bien que 150 ans et des frontières séparent Racine de Kleist, des liens évidents existent entre « Phèdre » et « La Cruche Cassée » : la dissimulation des sentiments et des fautes. La Justice Divine, donnée en spectacle qui se voudrait intraitable, modèle, mais qui ne repose que sur le mensonge.
© Nathalie Regior
Tous les personnages de la pièce sont interprétés par des hommes à l’exception de Panope (Shady Nafar). Il n’y a pas de travestissement, ni une volonté d’effacer la féminité des personnages, il y a un entre-deux un peu déroutant : les hommes gardent leur voix, leur stature mais quelques détails esthétiques comme le maquillage, le rouge à lèvre créent une ambiguïté des genres. Selon la lumière, ils sont hommes ou femmes. Nous sommes hors des Hommes.
Comédiens omniprésents sur scène soit témoins, face à l’action centrale du plateau, soit de dos pour signifier leur absence.
T. Bouvet immerge Phèdre et sa cour dans un monde sans repères spatiaux-temporels. Il joue constamment sur les contraires cherchant à créer un environnement fort et déstabilisant.
Le plateau est jonché de terre. Une série de vasques remplies d’eau et illuminées par des douches de couleurs orange, encerclent le plateau et cernent l’action.
Chaque comédien, lorsqu’il ne joue pas, revient dans sa vasque attitrée : être mi-végétal mi-humain. Parfois les corps et les muscles s’étirent comme des plantes qui reprennent vie grâce à la sève nourricière.
© Nathalie Regior
Le maquillage uniforme des visages, leurs prêtent un côté figé d’envergure quasi divine. Tels des statues antiques tronquées. Mais selon la lumière et le jeu, nous faisons tout à coup un voyage dans le temps pour côtoyer des acteurs de films expressionnistes. L’environnement sonore (notamment la musique du début du film « Irréversible » de Gaspar Noé, dans la boîte de nuit) entretient un malaise. Rythmique obsessionnelle et progressive annonçant inéluctablement le chaos. Ventre terrestre tourmenté qui accouche d’hommes primitifs prêts à jouer et mettre en scène une débâcle antique.
Les alexandrins sont respectés et travaillés avec une grande précision. Retenons tout particulièrement l’acteur Marc Arnaud (Théramène) qui projette une multitude d’images dans chacun de ses mots et les fait vivre avec la plus grande simplicité et sincérité. Tous les autres comédiens durant la pièce sont très convaincants. On préfère tout de même les moments de « lâcher prise » où la parole nous parvient intimement : moments émouvants où l’on pénètre le cœur du personnage, plutôt que les passages emphatiques dans lesquels la musicalité des alexandrins tend à prendre le dessus.
- La Cruche Cassée d’Heinrich von Kleist » voir l’article
Phèdre
De Jean Racine
Mise en scène : Thomas Bouvet
Avec : Hugo Dillon, Gilian Petrovski, Sylvain Dieuaide, Thomas Bouvet, Maxime Kerzanet, Anthony Boullonnois, Shady Nafar, Marc Arnaud
Maquillage : Nathalie Regior
Costumes : Christine Bouvet
Collaboration au travail du mouvement : Anita UrquijoDu 24 au 30 novembre 2011
Tous les jours à 20h30 (relâche dimanche 27 nov.)
Puis le 13 février 2012 dans le cadre du Festival Artdanthé.Théâtre de Vanves
12 rue Sadi Carnot, 92170 Vanves
Métro Malakoff-Plateau de Vanves – Réservations 01 41 33 92 91
www.theatre-vanves.frSite de la Compagnie Def Maira : defmaira.free.fr