Critiques // Critique • « Norma Jean » d’après Joyce Carol Oates par John Arnold au Théâtre des Quartiers d’Ivry

Critique • « Norma Jean » d’après Joyce Carol Oates par John Arnold au Théâtre des Quartiers d’Ivry

Jan 05, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « Norma Jean » d’après Joyce Carol Oates par John Arnold au Théâtre des Quartiers d’Ivry

Critique de Rachelle Dhéry

« Je suis La Blonde… La plus célèbre pin-up de l’humanité… C’est plutôt un honneur non ?… J’aime que vous me regardiez… J’espère que vous arrêterez jamais… Je suis Miss Golden Dreams… C’est une sacré responsabilité, trouvez pas. Dites-moi ce que vous aimez l’mieux et j’le ferai… J’garderai tous vos secrets… J’vous adorerai, aimez-moi seulement et pensez quelquefois à MARILYN ? Brisez-moi le cœur espèce de salauds. Oh hé ! Soyons HEUREUX ENSEMBLE s’il vous plaît, c’est pour ça qu’on existe… J’m’amuse tellement dans la vie, sûr que j’vais être punie ! »

Du broadway fantasmé mais loin du Happily ever after. C’est une vision très sombre de la vie de Marilyn et cette Marilyn là ne sourit jamais vraiment, comme déjà consciente du parfum de sa mort.

© Bellamy

C’était il y a deux jours, un parfum d’Hollywood a envahi nos narines parisiennes. La Blonde mythique a investi la scène du Théâtre des Quartiers d’Ivry, Antoine Vitez. Ladies and gentlemen, now u’ll see the golden dreams of America, the one, the precious, the amazing, the womaaaaaaaannnnnnnnn, Miss Marilyn Monroe ! Tonnerre d’applaudissements ! La salle comble était en effervescence. C’est normal. Qu’il est émouvant de découvrir ou redécouvrir une légende du cinéma ! Une des femmes les plus connues du monde entier. Et la faire renaître de ses cendres était un pari risqué, voire, osé ! John Arnold allait-il tendre vers la sobriété, avec une Norma Jean contant sa propre vie, seule sur scène ? Ou allait-il aborder le sujet en fanfare dans une comédie musicale digne de Las Vegas ? Ni l’un ni l’autre. Il a choisi de s’inspirer du roman fleuve de Joyce Carol Oates « Blonde », retraçant l’histoire de Norma Jean. Mais que les fans absolus et inconditionnels de l’icône intemporelle soient prévenus : l’auteure américaine féministe avait choisi d’aborder les aspects les plus sombres de la vie de la star, en modifiant quelques détails de sa vie au bénéfice de la fiction et du tragique. C’est donc la face sombre de l’étoile que vous pourrez découvrir sur les planches. Mais, rassurez-vous, le tragique est soigneusement enveloppé dans un cocon de Broadway. Aucune place n’est laissée à l’ennui. Aucune. Et ce, pour le plus grand bonheur des émotions.

Pendant près de trois heures, vous pourrez percevoir une version de la vie de Marilyn Monroe. Certains pourront penser à Ibsen ou à T. Williams, où la fragilité de la femme est mise à nue et où le sublime côtoie le sordide, d’autres à Cendrillon, dans un conte revisité où la poudre magique de la fée, se transforme en coke et où la princesse doit coucher avec le tout Hollywood pour réussir, où la méchante reine est en fait une mère cinglée, et où le prince charmant ne l’est pas vraiment. La pièce commence par la mort de Marilyn Monroe, avant d’aborder la naissance de Norma Jean Mortenson ou Baker, en juin 1926. On suivra ses déboires, d’adoptions en abandons, de mariages en divorces, de Norma Jean à Marilyn, de l’étoile filante à la star suicidaire. Jusqu’à sa mort. Pour revenir au début, pour clore ce cercle vicieux par lequel elle était entrée.

Une narration fluide et réussie.

© Jean-Claude Bourbault

Sur scène se dessinent plusieurs plans. Au début, un voile noir nous laisse entrapercevoir le corps inerte de la femme, entouré des personnes qui l’ont côtoyée avant sa mort. Le speaker, qui faisait le go-betweeen au début, incarne, assis dans le public, le flic et le journaliste. De questions en réponses, on assiste à l’enquête criminelle, et toutes les réponses soulèvent d’autres questions. C’est alors que le voile devient écran où défilent des personnages énigmatiques, proches du Joker de « Batman », cyniques, fous, et sadiques. La blonde peut maintenant entrer dans l’arène. Ouverture du second plan. Ouverture des rideaux. Par la suite un troisième plan se dessinera, au-delà du vide central, en fond de scène, des rideaux s’ouvriront pour créer un nouvel espace vide. D’une manière générale, la narration de la pièce est conçue de manière elliptique, en faisant défiler une sorte de diaporama de la vie de Monroe, dans une danse macabre, où la prose narrative se superpose à l’action, où la poésie et le vulgaire s’entremêlent délicatement, et où le vulgaire n’est jamais là où on l’attend, comme cette nudité naturelle, qui n’effraie pas et qui fascine. Les clichés défilent avec une fluidité déconcertante. Le décor matériel quasi inexistant ne fait jamais défaut. La lumière, aussi bien que la musique ou les bruitages soulignent parfaitement l’espace et le temps au service des acteurs et de l’histoire. Les costumes sont simples, sobres mais efficaces. Bref, tout est fait pour nous plonger profondément dans l’illusion.

Un texte et des acteurs beaux et sublimés. Un grand spectacle intelligent.

Bien sûr, ça ne serait pas possible sans un texte profond et émouvant, beau et captivant, sans des acteurs superbes et étonnamment crédibles. La Norma Jean incarnée par Marion Malenfant, pourtant loin du physique de la star, est troublante et attachante. Sa voix et sa taille lui permettent de passer avec fluidité de l’enfance à l’âge adulte, tout en restant une femme-enfant désillusionnée. Un bel avenir s’ouvre sûrement devant elle, qu’on lui souhaite plus heureux que celui de son personnage. Fabienne Périneau en mère cinglée est brillante, le manager aussi est très crédible, tout comme le jeune Antoine Formica en Cass Chaplin, et John Arnold lui-même côté spectateurs est parfait dans ses rôles. Un vrai coup de cœur pour Maryse Poulhe qui incarne les tantes de Norma entre autres. Avec elle, on joue dans la cour des grands. D’ailleurs le seul regret de ce spectacle incroyable, c’est la différence de niveau notable sur les seconds rôles, ou peut-être est-ce dû à un manque de travail ? Enfin, rien de bien grave, ou d’irréversible.

Norma Jean
D’après : Joyce Carol Oates, Blonde
Adaptation et mise en scène : John Arnold
Avec : Aurélia Arto, Philippe Bérodot, Bruno Boulzaguet, Jean-Claude Bourbault, Samuel Churin, Evelyne Fagnen, Antoine Formica, Jocelyn Lagarrigue, Marion Malenfent, Olivier Peigné, Fabienne Périneau, Maryse Pouhle, John Arnold
Assistant à la mise en scène : Grégory Fernandes
Scénographie et costumes : Aurélie Thomas
Création lumière et direction technique : Olivier Oudiou
Création sonore : Marc Bretonnière
Assistant lumière et régie générale : Thomas Cottereau
Vidéaste : Michel Ferry
Réalisation des costumes : Magali Angelini et Dominique Rocher
Habilleuses : Dominique Rocher et Marie Beaudrionnet

Du 3 au 29 janvier 2012
Les mardis, mercredis, vendredis et samedis à 20h, le jeudi à 19h, le dimanche à 16h

Théâtre des Quartiers d’Ivry – Centre Dramatique National du Val-de-Marne
Théâtre d’Ivry Antoine Vitez

1 rue Simon Dereure, 94200 Ivry-sur-Seine
M° Mairie d’Ivry — Réservations 01 43 90 11 11
www.theatre-quartiers-ivry.com

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