Critiques // Critique. Mon dernier cheveu noir de Jean-Louis Fournier. Mise en scène Anne Bourgeois

Critique. Mon dernier cheveu noir de Jean-Louis Fournier. Mise en scène Anne Bourgeois

Oct 20, 2012 | Aucun commentaire sur Critique. Mon dernier cheveu noir de Jean-Louis Fournier. Mise en scène Anne Bourgeois

Critique Anna Grahm

Les leçons de complicité d’un esprit généreux

Il est d’un certain âge, il est d’un âge certain, il a 7O printemps. Il porte une veste mauve en lin et prend un ton malicieux pour nous parler du vieillissement. Il déambule mollement, grogne de cette année en plus, de ces nouvelles dispositions qui le font devenir un peu plus moche. Il a l’œil espiègle et l’esprit fécond. Et bien qu’il sache l’inévitable, il cherche l’inoubliable, il vagabonde et les chemins qu’il nous fait prendre sont vivifiants. Il se balade tranquillement, repousse les peurs vertigineuses, adopte les hautes luttes de l’homme audacieux. Car l’homme aux cheveux blancs est un grand homme qui a beaucoup à nous apprendre. Il assène des constats dérangeants avec élégance, avec pudeur, avec la noblesse d’un cœur bienveillant. Il dénombre quelques unes de ses petites misères sans s’en plaindre, sans essayer de jouer ni au vieux beau, ni au petit vieux. Sa vue baisse, qu’importe, il s’invente d’autres yeux, ce qui passe inaperçu, il le désigne avec une immense poésie.

L’homme a choisi de raconter ses transformations et à travers lui nous envisageons les nôtres, nous convoquons cette difficile question qui nous préoccupe tous. Comment vivre tout en acceptant de mourir. L’homme prend en compte chaque état, chaque changement, il consent à la perte, pertes qu’il tutoie, qui le rendent infiniment tolérant, fraternel, si profondément humain. Il admet les difficultés, loue la patience, il compare les anciennes rigidités et prend acte de la nouvelle donne avec le juste recul nécessaire et ce juste recul fait mouche et mourir de rire. Pourtant ni son miroir, ni les photos d’antan ne lui font de cadeau mais lui a décidé de s’en départir avec légèreté, avec lucidité, et il nous surprend, nous enchante, nous grandit. Il nous fait cadeau de sa belle âme, il est un concentré d’expériences, une leçon de vie.

La terre est basse et l’homme remarquable

Jean-Louis Fournier est un homme rare. Il fut le complice de Pierre Desproges, il est aussi réalisateur, et écrivain. Dans ces livres, il aborde des thèmes graves, tel que l’alcoolisme de son père « l n’a jamais tué personne », le handicap de ses fils « Où on va papa », le décès de son épouse « Veuf ». Cette fois encore, il entreprend de partager sa vérité sur la traversée de la vie. Un sacré bonhomme ce Jean-Louis Fournier, un homme bon. Un homme qui déclare « la méchanceté ne me fera jamais rire ».

Sur le plateau, sont esquissés les endroits où il se sent bien. Son bureau, jonché d’objets, de papiers et en dessous coule inexorablement un sablier. Dans un coin, un fauteuil club sans âge qui lui va comme un gant. De l’autre côté, un établi sur lequel il grimpe d’un air mutin. Une traction Citroën bien plus vieille que lui. Jean-Louis nous invite dans son monde et la clochette qui l’accompagne, nous le rend funambule facétieux sur le fil du temps qu’il suit. On le voit qui observe de très près ce qu’on préfère regarder de loin, on le regarde relever des aphorismes notés sur des Post-it déposés par terre et la terre est basse et l’effort de se plier et de se déplier doucement pour attraper et nous offrir ces petites réflexions sur papiers jaunes nous bouleverse. On s’amuse beaucoup à l’entendre démystifier, dédramatiser ce qui est peu abordé, si peu énoncé dans notre société du jeunisme. Ce qui n’est ordinairement pas drôle devient dans la bouche de Jean-Louis Fournier une thématique réjouissante, rafraîchissante, enrichissante. A chacune de ses observations il délivre quelques conseils, les saupoudre de tendresse. Et lorsqu’il a un trou de mémoire, on se demande s’il faut y croire ou si c’est du théâtre. Si vous avez envie d’être fier de vieillir, si vous vous demandez comment ça sera, si vous manquez de courage pour aborder la « fin de croisière », allez donc vous nourrir des inspirations de Jean-Louis Fournier. « J’essaie de rendre supportable l’insupportable de notre vie » m’a-t-il glissé en partant.

Mon dernier cheveu noir de Jean-Louis Fournier
Mise en scène d’Anne Bourgeois
Théâtre du rond-point – salle jean Tardieu
2 bis avenue Franklin Roosevelt paris 8
Métro : Franklin Roosevelt – Champs Élysées Clémenceau
Du 17 Octobre au 10 novembre à 18h30
Réservation :  01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr

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