ƒƒ Critique De Anna Grahm
Nous sommes une communauté d’utopistes non autoritaires
Ils se nomment Julian Beck et Judith Malina, ils étaient américains et amoureux fous de théâtre et ont fondé le living Theater en écho aux travaux de Pirandello et Artaud. Ils ont commencé il y a plus de 30 ans à se demander comment s’ouvrir à la pensée collective. Ils ont fait des performances, des happenings, des sit-in, ils ont eu la nécessité de changer, transformer « les conceptions bornées ». Ils ont fait un travail engagé qui posait un regard citoyen sur le monde. Et pour ce faire ils se sont entourés d’une bande de trublions prêts à les suivre dans cette aventure, cette recherche, ce questionnement « pourquoi vas-tu au théâtre » « vas-tu au théâtre parce que tu pourrais y trouver la vérité ». Ils ont fait bougé les lignes, ils ont révolutionné la scène, influencé une génération d’artistes, ils ont démontré au public que les spectateurs pouvaient eux aussi être des acteurs de leur vie, ils ont renversé les codes, bousculés les anciens, ils ont refusé les règles de production d’alors.
Ils jouaient nus, échappaient aux conventions, choquaient, violaient les habitudes bourgeoises établies. Ils ont fait voler en éclat les conservatismes, ils sont descendus dans la rue, ils ont effacé les distances, affirmé leurs idées, ont mis leurs idéaux en pratique. Ils ont posé les questions de société au cœur de leurs projets, ils ont pointé les mensonges du grand capital, ils ont accusé l’argent, joué sans argent, ils ont mutualisé leurs affinités pour représenter un autre rapport au monde. Ils ont imaginé, expérimenté de nouvelles formes à couper le souffle, ils ont cherché à articuler ensemble d’autres langages que celui qui les entourait alors. Ils dénonçaient la guerre, brandissaient l’étendard de la paix, ils se sont servis de leurs corps, de leurs esprits, de leurs voix, pour l’amour de l’art, pour parler des maux du monde.
En découdre comme hier
Stanislas Nordey rend un hommage vibrant à cette « tribu » joyeuse, révoltée et censurée, en exhumant leurs textes manifestes qui n’ont pas à ce jour été réédités. Seize jeunes comédiens vont et viennent dessous une structure de néons pour nous dire les aspirations de ces utopistes anarchistes, viennent chacun leur tour nous livrer un morceau de leurs rêves de révolution. Julian Beck prône un théâtre qui doit « sortir de sa prison ». Durant le 22ème festival d’Avignon, le 24 juillet 1968, tandis que la troupe descend dans la rue, les observateurs de l’époque parlent d’un défilé « débraillé et contestataire ». Les jeunes comédiens défilent en toute liberté sous nos yeux, un à un, ils nous expliquent le processus de la violence, « la violence entraine la violence », le rôle du théâtre, l’importance des livres pour éveiller les consciences, ‘ »a révolution passe par la diffusion des idées ». Ils sortent du TNS, incarnent l’avenir, le changement. « Changer la façon dont nous vivons », « les priorités » « l’esclavage par l’argent doit finir », « le système monétaire doit disparaître », « tu prends ce que tu as besoin, tu donnes ce que tu peux » « plus d’état, plus de police, plus de frontière, plus de propriété » écrivait Julian Beck. L’abolition des frontières s’incarne ici par la diversité des acteurs, ou plutôt pour parler le politiquement correct par des acteurs de la diversité remarquables.
L’utopie est toujours vivante, vibrante, l’enchainement des discours permettent de repousser les « gaz du désespoir », l’utopie d’hier rejoint aujourd’hui celle de l’alter mondialiste. Le monde du théâtre s’attaque au monde de l’argent avec les mots des vieux rebelles et cela n’a pas pris une ride. Les seize délivrent une pensée, un état d’esprit, ils aspirent à plus d’égalité, plaident pour plus d’humanité, ils exhortent à ne jamais désarmer, et la non violence au cœur du processus irrigue le spectacle. Chaque intervention est un acte politique, une dénonciation de l’injustice. On avait commencé par nous coller debout sur scène pendant cinq minutes, « une façon d’être au monde » et puis après la première scène, on s’était tous rués sur nos fauteuils, et on s’était dit : le théâtre d’aujourd’hui est moins fou que celui d’avant. On était arrivé le nez dans le guidon, découragé, épuisé par les constats effrayants, on est reparti plus confiant, rêvant de changement, regonflé de chaleur humaine. La mobilisation passe décidemment par l’art.
Living ! De Julian Beck et Judith Malina
Mise en scène Stanislas Nordey
Avec Sarah Amrous, Nathan Bernat, Romain Brosseau, Ducan Evennou, Simon Gauchet, Ambre Kahan, Marina Keltchewsky, Yann Lefeivre, Ophélie Maxo, Anaïs Muller, Thomas Pasquelin, Karine Piveteau, François-Xavier Phan, Mi Hwa Pyo, Tristant Rothhut, Marie Thomas.
Collaboratrice artistique: Claire ingrid Cottanceau
Scénographie: Emmanuel Clolus
Lumière: Philippe Berthomé
Son: Michel Zurcher
collaboration vocale: Martine-Joséphine ThomasJusqu’au 21 décembre – à 20H – Les jeudis à 19h et dimanche 16h- Relâche le lundi
Théâtre des Quartiers d’Ivry
Studio Casanova
69 av Danièle Casanova
Métro : Mairie d’Ivry
Réservation 01 43 90 11 11
www.theatre-quartiers-ivry.com