ƒƒ Critique Rachelle Dhéry
© Stéphanie Wurtz
Deux tueurs à gage attendent, dans le sous-sol désaffecté d’un lieu indéterminé, à Birmingham, de connaître l’identité de leur future victime. Le temps semble comme suspendu en cet endroit insolite et clos, les deux hommes, qui se connaissent visiblement très bien, vont peu à peu dévoiler des bribes de leur âme, de leurs passions, de leurs angoisses, de leurs folies. Jusqu’à ce qu’un monte-plat, tel un marionnettiste tyrannique de génie, se mette à fonctionner en livrant des commandes absurdes et exotiques, infiltrant le doute dans la pensée des deux protagonistes. Qui de Gus, le benêt sensible et un brin amnésique ou de Ben, le gros dur, nerveux et drogué, perdra foi dans les ordres et ce qui doit être fait ? Qui voudra éviter d’affronter l’inévitable ? Lequel des deux tuera l’autre ?
« – Qu’est-ce qui t’as pris ce matin ? Pourquoi tu t’es arrêté ?
– On était en avance. »
Dés le début de la pièce, la connivence des deux personnages joués avec une véritable sensibilité et une justesse étonnante, par François Lis et Patrick Courtois (MERCI pour vos magnifiques silences), nous plonge avec bonheur dans une certaine nostalgie. Les émotions ressenties à la lecture de Beckett, notamment « En attendant Godot », ou de Steinbeck, dans « Des souris et des hommes », ou en découvrant Dustin Hoffmann et Tom Cruise dans « Rainman », ou même Depardieu et Michel Blanc dans « La chèvre », remontent le fil de notre mémoire. La brute et le simple d’esprit. Un duo qui nous émeut. Et qui fonctionne à chaque fois. Mais là où Pinter nous embarque, ce n’est certainement pas vers un lieu de quiétude et de happy end. Non. Il préfère davantage nous entrainer dans le vide. Une chute lente et violente. Un tourbillon suspendu dans le temps et dans l’espace qui nous attire irrésistiblement vers le bas. Parce que si on réfléchit un peu plus loin que la seule histoire tragique à laquelle on assiste, on trouve des messages, en arrière plan, qui font froid dans le dos. Et on pourrait parler pendant des heures des idées philosophiques et politiques qui sont planquées en filigrane.
Mais encore mieux que les mots, allez-y. Cette version mérite qu’on se déplace. Et même si la scénographie n’est pas le point fort de cette mise en scène, au décor indéfinissable et à la musique à mon sens pas forcément utile, elle a été travaillée dans le respect du texte et la direction d’acteurs est excellente.
« Le Monte-Plats » d’Harold Pinter
Metteur en scène Stéphanie Wurtz
Avec François Lis, Patrick Courtois
Costumier Marie Dentan
Compositeur(s) Emmanuel Forat
Production Co-Réalisation Les Déchargeurs / fam production
Lumières Marine ViotThéâtre des Déchargeurs
3 rue des Déchargeurs
75001 Paris
Métro : Châtelet – Les hallesSalle Vicky Messica jusqu’au 16 mars du mardi au vendredi à 21h30.
Durée 1h15Réservations au 01.42.36.00.50
www.lesdechargeurs.frTexte publié chez l’Arche éditeur