Critiques // Critique • « Le Jubilé d’Agathe » de Pascal Lainé avec Gisèle Casadesus à la Comédie Française

Critique • « Le Jubilé d’Agathe » de Pascal Lainé avec Gisèle Casadesus à la Comédie Française

Déc 19, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « Le Jubilé d’Agathe » de Pascal Lainé avec Gisèle Casadesus à la Comédie Française

Critique de Djalila Dechache

Dans le cadre des cartes blanches aux Comédiens Français, les formes les plus diverses sont proposées, de la performance à l’hommage, de la lecture à la mise en espace et de la disposition poétique au concert. Les comédiens font le choix du contenu de leur représentation.
Nous avons donc à faire à une lecture choisie par la doyenne des sociétaires honoraires, Gisèle Casadesus. Sauf que cela n’est précisé nulle part que c’est une lecture, il faut pour cela lire, après coup, la volumineuse brochure de saison de la Maison.

Le jubilé d’Agathe de Pascal Lainé, est joué pour la première fois à la Comédie Française. Un texte tout en amertume écrit en hommage aux saltimbanques des routes du monde.
C’est le même Pascal Lainé, auteur de La Dentellière qui lui a valu un Prix Goncourt en 1974. Pour jouer le jeu de la lecture jusqu’au bout, une récitante lit les didascalies, ajuste les chaises et verse de l’eau dans les verres de la table couverte d’une nappe blanche. J’ajoute également que pour laisser penser à une lecture, les deux comédiens sociétaires honoraires ne bougent pas de leur chaise tandis que les deux autres semblent vraiment jouer leur rôle. D’où l’éventuelle méprise qui peut surgir entre lecture, mise espace ou mi-lecture, mi-spectacle parce qu’il y a aussi un jeu de lumière, de la musique, des apartés, des déplacements.

Nous sommes dans un relais de campagne, en pleine nuit, Camille entre, suivie d’Agathe puis de Paul, son ami et compagnon de pupitre dans l’orchestre où ils ont joué tant d’années. Les comédiens lisent leurs répliques, texte à la main, parfois ils se déplacent, surtout Maurice qui entrera en scène plus tard et Camille, l’impatiente Camille.
Il est question de fêter les 50 ans de musique d’Agathe. Comme un reine!

Ils attendent. Et comme ils attendent, ils parlent ou plutôt, ils bavardent.

Sans tarder, l’opposition entre les générations se pose : Agathe reproche à Camille d’être triviale, de « n’avoir aucune poésie », d’être terre à terre lorsqu’elle parle de ce que lui coûte d’élever seule son enfant, tandis qu’Agathe fait le tour de ses prestigieux cadeaux accumulés au cours de sa carrière dont une magnifique montre sertie de diamants que le roi Farouk lui a offert, il y a bien longtemps.
Bien évidemment dans ces conditions, on ne peut se comprendre, il y a trop de distance, en terme de siècles .
Peu à peu et à force d’attendre, et l’on sait ce que coûte d’attendre sans être informé du pourquoi et du comment du retard, les agacements sortent des gorges, il est question de danseurs, qui ne sont pas là et qui devraient l’être, ils font partie du spectacle.
Ce sont les danseurs de tango, étrangers qui plus est ! Un vrai scandale !

Entre temps, Maurice, le manager comme on pourrait dire est totalement ruiné, criblé de dettes,son système est dépassé, il n’ a plus de contrats, joue à perte. Il essaie de sauver les meubles une ultime fois et sans trop y croire en cachette des artistes. Il se rebelle, il craque, n’en peut plus de passer sa vie dans les gares, les trains et les hôtels.
Il rêve de se retirer dans sa Normandie, dans son lopin de terre et être enfin seul.
Ce n’est pas tout à fait vrai, il ne peut se passer de cette vie-là, pleine de soucis mais tellement exaltante.
« L’orchestre Pescarollo c’est fini »
dit-il et « ça s’est décidé sans moi ».

En d’autres termes, dès qu’un être humain est vacant, et a fortiori un artiste, sans but ni projet, il tourne en rond et se met à parler de ce qui ne va pas dans sa vie et autour de lui .
Une autre question est posée dans ce texte, que peut-on faire face à l’inexorable temps qui passe ? Pas grand chose en vérité que de basculer dans une autre vie, ressassant souvenirs et passé. « La prostate, les yeux, la mémoire, ça se déglingue ensemble », dit Paul.

Il y a quelque chose que l’on gagne malgré tout, c’est cette faculté peut-être de parler, de dire les choses, enfin les dire ! Malgré les frustrations accumulées, les ratages, du temps perdu pour toujours, les rendez-vous manqués.

Un grand moment de théâtre.

Comme celui de Paul et d’Agathe par exemple : ces deux là ont vécu ensemble mais séparés par la cloison d’une loge, d’une cabine de train, en vis-à-vis, d’une chambre d’hôtel pour s’avouer leur amour sincère et leur désir de vivre ensemble le temps qu’il leur reste.
Agathe avoue qu’elle a toujours été amoureuse de lui, servant d‘alibi parfois, même lorsque lui passait son temps avec de jeunes hommes.

Dans la salle pleine, du Studio-Théâtre, on reconnaît quelques visages sans en connaître les noms, des comédiens venus soutenir ceux qui jouent et qui n’ont cessé de rire aux inflexions amusées et à peine voilées de Gisèle Casadesus.
Dès que Roland Bertin s’exprime de sa voix douce et pleine, elle est pleine de tous les rôles qu’il a pu jouer au cours de sa carrière, avec des trémolos, de la rondeur, des syllabes finales qui durent longtemps. Chaque mot dure longtemps comme le diapason d’un instrument. On lit tant de choses dans les interstices non seulement du texte mais également de ce que lui ne dit pas, dans ce qu’il nous fait sentir.

Un grand moment de théâtre servi par de très bons comédiens. Cela fait du bien.
Ce grand moment est, s’il en était besoin, confirmé au moment du salut, Roland Bertin cherchant à accrocher sa main à celle du voisin comme s’il était perdu d’un seul coup, hors du groupe, hors du texte, hors du personnage.

Le Jubilé d’Agathe
Pour la première fois à la Comédie-Française
Texte : Pascal Lainé
Avec la complicité de : Catherine Chevallier
Musique : Dominique Probst
Interprétation : Sergio Timassi
Avec : Gisèle Casadesus, Roland Bertin, Michel Favory, Barbara Probst

Du 16 au 18 décembre 2011 à 20h30

Comédie Française
Studio-Théâtre

Galerie du Carrousel du Louvre, Place de la Pyramide inversée – 99 rue de Rivoli, Paris 1er
M° Palais-Royal Musée du Louvre (accès direct à la galerie du Carrousel)
Réservations 01 44 58 98 58
www.comedie-francaise.fr

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