Critiques // Critique • « La Tête des autres » de Marcel Aymé, mise en scène Elisabeth Hölzle au CDN la Courneuve

Critique • « La Tête des autres » de Marcel Aymé, mise en scène Elisabeth Hölzle au CDN la Courneuve

Jan 18, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « La Tête des autres » de Marcel Aymé, mise en scène Elisabeth Hölzle au CDN la Courneuve

Critique de Ottavia Locchi

Placer l’intrigue de la pièce de Marcel Aymé (1902 – 1967) dans un monde sixties kitch et paillettes, le pari était osé. Elisabeth Hölzle, non sans humour, propose une mise en scène colorée autour de la terrible question de la dérive de ceux qui prétendent rendre la Justice…

Bienvenue à Guimauve Land !

Entrée fracassante du Procureur Maillard : il a réussi à faire condamner à mort un minable joueur de jazz, et ce, sans preuve ! C’est un exploit pour celui-ci, qui en est à sa troisième tête – « à 37 ans, c’est joli ». Sa femme Juliette ne se tient plus de joie, tout comme son confrère le Procureur Bertolier et sa femme Roberte. « Avoir fait condamner un innocent et cela par les seules ressources de votre talent, c’est tout simplement magnifique. Maillard, j’ai envie de vous embrasser. » Mais tout se complique lorsque Valorin, le fameux condamné à mort, se présente au domicile de Maillard… S’en suivent péripéties vaudevillesques, on découvre peu à peu les liens entre les personnages, qui ne sont pas au bout de leur surprises. Une tentative d’assassinat, un patron du grand banditisme, des histoires de tromperies un peu partout, des inspecteurs qui n’en sont pas… Marcel Aymé ne nous épargne rien des procédés comiques tout en y glissant une terrible satire du monde de la Justice.

© Loïc Loeiz Hamon

Dans sa mise en scène, Elisabeth Hölzle ne se contente pas d’amener le propos dans une ambiance de boule à facettes. L’univers bourgeois y est parfaitement représenté par un jeu de comédien sur-articulé voire sur-joué (le valet ne dira pas le contraire), et leurs perruques deviennent l’accessoire principal de leur personnage.
Les scènes sont entrecoupées de chansons, comme si les personnages dévoilaient l’espace d’un instant une partie d’eux-mêmes. Bee bop, ballade, ou jazz débarquent en avant-scène, derrière ces micros installés pour l’occasion. Ils dansent, aussi, pour ajouter à l’ambiance karaoké-surprise-partie.

Alors, on y croit ou pas ?

Précipités sans préliminaires dans « Ça Cartoon », la salle ne sait pas si elle doit rire ou pleurer. Mais l’énormité du jeu, la balourdise des situations et la dimension du texte original ne peut laisser personne indifférent. Car au-delà des apparences, le dessin animé auquel on assiste prend brusquement des allures de Cluedo : Valorin est-il vraiment coupable ? Sinon, qui est l’assassin ? Et qui les assassins veulent assassiner, au fait ? Grâce à la plume grinçante de l’auteur, le fil rouge ne disparaît jamais. Toujours cette impression qu’ils sont des pantins articulés, prisonniers d’un système et de croyances bien au-delà de leurs préoccupations passagères. L’intervention finale d’Alessandrovici, le bandit au bras long, plonge tout le monde dans une réalité moins barbapapa. Et le transformer en rappeur ringard tendance animateur de kermesse n’était peut-être pas une si bonne idée…

© Loïc Loeiz Hamon

La pièce de Marcel Aymé, écrite dans les années cinquante, est non seulement un véritable manifeste contre la peine de mort, mais aussi une dénonciation de la facilité à condamner des « gens sans importance » sous prétexte de carrière ou de caprice. Le monde judiciaire est le socle de l’intrigue, et au fond rien ni personne ne se préoccupe du sort de Valorin, manifestement accusé à tort. L’auteur nous amène à considérer la Justice en général, à travers les histoires anecdotiques des petits-bourgeois bien-pensants.

Ce contraste entre le propos et la mise en scène cotillons porte ses fruits. Le texte et les situations nous parviennent d’autant plus qu’elles sont amplifiées dans le jeu des comédiens, et enrichies par une mise en espace cohérente et des manies amusante, comme leur jeu de “chaises musicales”. On regrette néanmoins un manque de propreté sur les scènes dansées et chantées, et un poil de longueur au moment de la scène finale.
Cette interprétation très visuelle et cocasse amène naturellement le spectateur au questionnement de l’auteur, le tout saupoudré d’un humour pétillant.

La Tête des autres
De : Marcel Aymé
Mise en scène : Elisabeth Hölzle
Avec : Marc Allgeyer, Bernard Daisey, Myriam Derbal, Damiène Giraud, Maria Gomez, Jean-François Maenner, Jean-Luc Mathevet, Jean-Pierre Rouvellat
Scénographie, costumes, affiche : Loïc Loeiz Hamon
Création Lumière et régie générale : Julien Barbazin
Arrangements musicaux : Pascal Sangla
Travail vocal : Isabelle Morelli
Chorégraphie : Nadine Féty
Réalisation des costumes : Sophie Schall

Du 11 au 29 janvier 2012
Mercredi, vendredi, samedi à 20h30, jeudi à 19h, dimanche à 16h30

Centre culturel Jean-Houdremont
11 avenue du Général-Leclerc, 93120 La Courneuve
RER La Courneuve Aubervilliers — Réservations 01 48 36 11 44
www.centredramatiquedelacourneuve.com

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