Critiques // Critique • « La Dame de la Mer » de Henrik Ibsen Théâtre des Bouffes du Nord

Critique • « La Dame de la Mer » de Henrik Ibsen Théâtre des Bouffes du Nord

Mar 05, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « La Dame de la Mer » de Henrik Ibsen Théâtre des Bouffes du Nord

Critique de Rachelle Dhéry

« Le jour, la nuit, l’été, l’hiver, elle me submerge, la nostalgie de la mer »

Ellida est mariée au docteur Wangel, bien plus âgé qu’elle, qui l’a emmenée vivre dans un fjord, loin de la mer, avec ses deux filles, déjà grandes. Depuis la mort de leur fils, Ellida a sombré dans une forme de mélancolie, une « irresistible nostalgie de la mer ». A force de la voir se baigner chaque jour dans le fjord, les gens l’appellent « la dame de la mer » et elle devient, par là-même, une muse pour les artistes du coin. Un jour, un marin qu’elle a profondément aimé et avec qui elle s’est symboliquement mariée, avec comme témoin, la mer, revient honorer sa promesse. Il vient la chercher, pour l’emmener avec lui. Soumise au déchirement d’un tel choix, elle finit par décider de partir, à la condition que Wangel accepte de renoncer à leur union. Ce dernier ne cède pas. Puis, par amour pour sa femme, il accepte de la laisser partir. Libérée et face à elle-même, la preuve d’amour finit par toucher Ellida au point qu’elle prend la décision de rester auprès de son mari et laisse le marin repartir, pour toujours.

Incroyablement moderne, ce texte de la fin du XIXe siècle met la femme au premier plan. Comme Nora dans « Une maison de poupée », Ellida s’est laissée entraîner, malgré elle, dans une version de la vie qu’elle n’a pas choisie. Et tout comme Nora, Ellida va grandir, faire un choix, en pensant pour elle-même et par elle-même. Et sa décision va la délivrer de ses démons passés.

©Jeremiah

« Effroyable, c’est ce qui effraie et qui attire »

Après la Suède et Lars Norén, Claude baqué s’est emparé de l’oeuvre de l’auteur norvégien Henrik Ibsen, « La Dame de La Mer » et a fait appel, pour interpréter Ellida, le rôle principal, à la chanteuse Camille.

Couvrez-vous, il pleut aux bouffes du nord !

Question scénographie, Mathieu Ferry a vu les choses en grand. Au sol, un immense bac d’eau noir pour la scène, qui fait écho à un immense fond blanc sur lequel l’eau vient parfois se refléter, agrémentés d’un brouillard intermittent. Pour seuls éléments de décors, une table basse et des bancs en bois, portés par les comédiens au début et retirés à la fin, pour laisser la place uniquement à cette fameuse décision finale la disparition du marin, dans le néant de la mer. D’ailleurs, celui-ci apparaît et disparaît de la même façon, sous une cascade surprenante d’eau, représentant les flots de la mer. Le noir et blanc est à l’honneur. Comme annonçant par avance toute la douleur du choix. Ou pour placer l’héroïne entre la vie et la mort, entre la prison et la liberté. Tous les personnages arborent ces couleurs sauf Ellida, teintée du rouge de la vie et du sang, et le sculpteur malade, en jaune couleur de la maladie et de l’arlequin, car il est celui qui teint d’humour ce drame. En fond, les sons dissonants et sombres des cors plongent nos oreilles dans la tragédie en marche, aidés par la très bonne accoustique offerte par le lieu. D’ailleurs, tout semble sombre, même les lumières, qui se concentrent parfois sur Ellida, alias Camille, redevenue chanteuse, lorsqu’elle envahit l’air de sa douce voix aux modulations aériennes et maîtrisées, en norvégien, accompagnée par les cuivres, qui apparaissent, un temps, sur scène. Ce sont d’ailleurs ces moments épars dans le spectacle qui sont, à mon sens, les plus poétiques, les plus beaux, et qui forment un bel hommage à cette magnifique oeuvre d’Ibsen.

Dans l’eau, parfois, on patauge… Au théâtre aussi, ça arrive.

Car, pour ce qui est de la direction d’acteurs, c’est très étrange de la part du metteur en scène, d’avoir fait ce choix de la distanciation, comme une sorte de surréalisme. L’acteur est tellement détaché du sens des mots, que cela finit par nous détacher aussi. On dirait parfois qu’ils s’adonnent à une italienne. Le jeu est mécanique et les âmes des personnages sont restées en coulisses. Les regards se perdent dans le vide, à l’horizon et rarement, s’affrontent. Ou peut-être est-ce cette eau, dans laquelle ils pataugent tout au long du spectacle, qui finit par nous bercer et nous endormir ? Ou peut-être est-ce parce qu’ils ont froid, les pieds et costumes trempés, que les acteurs perdent leurs émotions ? En tous cas, quand on observe le parcours des uns et des autres (Conservatoire National Supérieur d’art Dramatique, ENSATT etc.), on sait qu’on a affaire à des pointures. Difficile de dire qu’ils sont mauvais comédiens. A mon sens, c’est dans le choix de direction d’acteurs que le bât blesse. Et c’est bien dommage.

La Dame de la Mer

D’Henrik Ibsen
Traduction et mise en scène Claude Baqué
Création musicale Camille
Avec l’aimable collaboration de Mari Boine
Arrangements et composition pour tuba et deux cors Clément Ducol
Avec Marion Bottollier (Bolette), Camille (Ellida), Ophélie Clavie (Hilde), Didier Flamand (Wangel), Nicolas Maury (Lyngstrand), Nicolas Martel (L’étranger), Nicolas Struve (Arnholm, Ballested), Emilie Counil (cor), Maxime Duhem (tuba), Julie Moreau (cor)
Effets sonores Nicolas Martel
Scénographie, lumières Mathieu Ferry
Costumes Xavier Ronze
Maquillages et coiffures Kolair Salinas
Accessoires Sophie Musil
Assistante mise en scène Isabelle Antoine

Du 28 février au 17 mars
Du mardi au samedi à 21h

Théâtre des Bouffes du Nord
37 bis, bd de La Chapelle  75010 Paris.
Réservation : 01 46 07 34 50
Métro La Chapelle  – Gare du Nord
www.bouffesdunord.com

Un débat sera organisé autour de la création de la pièce d’Ibsen le samedi 10 mars 2012 à 15h00, au Théâtre des Bouffes du Nord.
Que veut « La dame de la mer » ?

Avec la participation de Sylviane Agacinski, Françoise Decant, François Flahault et Jean-Pierre Sarrazac. Débat animé par Marie Vandenbussche-Cont, en présence du metteur en scène Claude Baqué.

Entrée libre sur réservation : 01 46 07 34 50 (du lundi au samedi de 13h à 18h)

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