Critiques // Critique • « La conversation » de Jean d’Ormesson, mise en scène de Jean-Laurent Silvi

Critique • « La conversation » de Jean d’Ormesson, mise en scène de Jean-Laurent Silvi

Sep 20, 2013 | Aucun commentaire sur Critique • « La conversation » de Jean d’Ormesson, mise en scène de Jean-Laurent Silvi

ƒƒƒ critique Anna Grahm

 RENTREE THEATRALE DU FIGAROSCOPEMaxime d’Aboville © Bouchon Marmara Soriano

« J’ai gouté du commandement, je ne saurais y renoncer » Bonaparte

Jean d’Ormesson choisit pour sa première pièce de montrer l’Histoire en train de se faire et plus précisément ce moment où l’Histoire bascule.

En une heure, Bonaparte 1er consul de France va convaincre Cambacérès son 2ème consul et ami de remplacer la République par l’Empire.

Avant de commencer la conversation, la voix-off de l’auteur brosse à grands traits le portrait d’un pays, portrait qui évoque un court instant la crise européenne que nous traversons. Mais le dessin se précise et détaille le travail titanesque que vient d’accomplir Napoléon. En effet en 5 ans, il a remis la France sur pied, fondé la banque de France, organisé l’instruction publique, rédigé le code Napoléon, sur lequel nous fonctionnons toujours, et a créé la légion d’honneur.

La rencontre entre les deux protagonistes se situe à l’hiver 1803-1804, dans un salon sans apparat. Dès le début, le dialogue est conduit par Bonaparte. L’homme est pressé, brillant et habile. Tout à son exercice de conviction, il pousse Cambacérès à réaffirmer qu’il est toujours prêt à le servir. Celui-ci n’hésite pas à lui renouveler son admiration teintée de sentiment amoureux. Leur complicité établie, Bonaparte se livre, aborde la politique, les militaires, le clergé, les femmes, la famille, les gens de lettres, la délocalisation de Mme de Staël. Cambacérès prend le temps de l’écouter, comprend, le conseille, se prend au jeu des constats, entre dans la connivence, cède devant l’inflation des compliments, se laisse aller à la flagornerie. Et telle une mante religieuse, Bonaparte tisse son piège et Cambacérès qui est pourtant un républicain convaincu, qui a travaillé toute sa vie sans relâche au culte des lois, va se laisser phagocyter par la force d’entrainement de l’ambitieux chef d’État.

 

« J’ai fondé une ère nouvelle, je dois l’éterniser » Bonaparte

La sobriété de la mise en scène met en valeur cet échange troublant où la prise de conscience décisive est portée, emportée, engloutie par une pensée fulgurante. Jean d’Ormesson, académicien normalien, agrégé de philosophie et auteur prolifique interroge ici le pouvoir, le pouvoir d’une révolution, le pouvoir de résister, le pouvoir des mots qui peut conduire à prendre des décisions contre ses convictions.

Maxime d’Aboville campe magnifiquement un Bonaparte intuitif et spontané qui, en fin stratège, a toujours trois coups d’avance sur son adversaire, semble avoir pensé à tout et a déjà la fin. L’homme qui aime la vitesse, ne craint pas de piétiner ses contradictions, s’oriente vers un pouvoir personnel, absolu et sans partage, il veut« achever la révolution », et ne se prive pas d’affirmer en même temps « un imaginaire républicain et un instinct monarchique ».

Quand à Alain Pochet, avec ses petits bas blancs et son air grave, il émeut. Et même si l’on pourrait s’agacer de son trop grand respect, d’une certaine condescendance, il y a dans cet affrontement subtil où chacun mène l’autre, tout l’humour de l’acteur qui a vite raison de nos réticences.

Nous finissons par être, comme le personnage Combacérès, pris dans la logique de séduction, étonnés d’être à ce point subjugués par les arguments du futur empereur. On s’amuse beaucoup de le voir confier à son meilleur allié ses pires travers, on rit de les voir chercher un modèle à la César, oui nous sommes stupéfaits d’apprendre qu’il avait un goût prononcé du marketing, un aigle pour logo pensez-vous, sa mégalomanie était sans borne, le 3ème Reich ne s’y est pas trompé. Et quand au terme de cette conversation, on parle d’envahir la Syrie, de marcher sur Alep, alors là, non vraiment, on se dit que ces petites histoires n’en finissent pas d’éclairer la grande.

 

La conversation de jean d’Ormesson de l’Académie française
Mise en scène de Jean-Laurent Silvi
Avec Maxime d’Aboville et Alain Pochet

Depuis le 17 septembre
Du mardi au samedi à 19 h et dimanche à 17h

Théâtre du petit Montparnasse
31 rue de la gaité 75014 Paris
Réservation au 01 43 22 77 74

www.petitmonparnasse.com

 

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