Critiques // Critique. “En attendant Godot” de Samuel Beckett à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet

Critique. “En attendant Godot” de Samuel Beckett à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet

Jan 22, 2013 | Aucun commentaire sur Critique. “En attendant Godot” de Samuel Beckett à l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet

ƒƒƒ Critique de Jean-Christophe Carius

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© Philippe Delacroix Légende

Le théâtre de l’impensable

“En attendant Godot” de Samuel Beckett, est un chef-d’œuvre du théâtre européen du XXème siècle des plus énigmatiques et fascinants. Visionnaire, l’œuvre entremêle une poésie minérale, un humour comique, et des images scéniques profondément percutantes. Racontant une histoire qui n’en constitue pas véritablement l’argument, la pièce réalise l’exploit de représenter avec précision une chose indicible. Bernard Levy a choisi d’aborder la mise en scène de ce texte en respectant, autant que possible, l’esprit de sa loi originale, c’est-à-dire les nombreuses didascalies indiquées par l’auteur qui font de son livret un quasi scénario. Il a cherché, et trouvé, comment renouer aujourd’hui avec la vérité initiale de ce texte majeur.Des traînées de pinceau géantes ternissent le bleu du ciel déjà obscur qui règne au dessus de cette fameuse “route à la campagne, avec arbre”. Comme sous une cloche brossée à la hâte par un dieu, par Beckett, ou par l’humanité elle-même, la lumière rasante et dévitalisée flotte assoupie dans une atmosphère translucide. Gogo et Didi, pantins vivants aux costumes dégrisés, courbent l’air de cet espace imaginé et usent de la parole pour passer le temps (“il serait bien passé sans cela”). Ils attendent l’arrivée d’un certain Godot, qui devrait, pourrait venir et, qui sait, va peut-être intervenir. Leurs mots de “condamnés à vivre”, étranges, sonores et sourds, synthétisent le bruissement caillouteux des rengaines du quotidien. Tous ces mini éboulis de phrases, sporadiques et répétitifs, qui charrient leurs lots d’approximations insatisfaites et prennent des allures comiques à force d’être sans issue. Alors, surgissent Pozzo et Lucky. Pozzo dirige Lucky au moyen d’une corde passée autour de son cou. Sous la menace de son fouet, il lui lance, avec un mépris ulcéré mais patelin, des ordres que l’autre exécute, l’air hagard et le corps épuisé… Bernard Levy suspend un pont pertinent et élégant entre la vision originale de Beckett et les termes de l’esthétique théâtrale d’aujourd’hui, soixante ans après l’écriture de la pièce. Il présente au spectateur un tableau vivant et plastique où ce passé et ce présent se conjuguent avec subtilité. Sous une accolade ancrée dans la véracité de ces deux moments, la mise en scène réitère la dimension éternelle, ou du moins sempiternelle, de la vision qu’a projetée Beckett. Elle connecte avec la puissance impressionnante des paraboles immédiates excavées par l’auteur. Elle impose son alchimie poétique, qui opère pleinement et pénètre jusqu’aux cœurs de l’auditoire, subjugué par la mystification de cet “œil qui parle”.

Ainsi, l’écho de la volonté qui fut à l’origine de cette œuvre hors norme se perpétue une fois de plus pour nous toucher véritablement. Loin de l’idée d’un “théâtre de l’absurde”, que Beckett récusait, la réactivation de cette vision initiale nous met face à un théâtre de l’impensable, un théâtre de la prise de conscience directe. Un théâtre dont, ironie suprême, certains ont attendu de Beckett, qu’il livre les clés d’interprétation, comme Gogo et Didi attendent de Godot, des solutions à leur situation. Beckett assurait pourtant qu’il n’en savait pas plus que ce qui est écrit, que tout est là, présent et suffisamment productif pour permettre à quiconque, en mesure de se dégager de la “sourdine des habitudes”, de le saisir pleinement.

En attendant Godot

En attendant Godot
De Samuel Beckett
Mise en scène : Bernard Levy
Avec : Gilles Arbona, Thierry Bosc, Garlan Le Martelot, Georges Ser, Patrick Zimmermann
Assistant à la mise en scène : Jean-Luc Vincent
Chorégraphie : Jean-Claude Gallotta
Décor : Giulio Lichtner
Lumières : Christian Pinaud
Son : Marco Bretonnière
Costumes : Elsa Pavanel
Assistante costumes : Séverine Thiébault
Maquillages, coiffures : Bérangère Prost
Durée : 2h10

Jusqu’au27 janvier 2013

l’Athénée Théâtre Louis-Jouvet
Square de l’Opéra Louis-Jouvet – 7 rue Boudreau 75009 Paris
M° Opéra, Havre-Caumartin, Madeleine, St-Lazare, Chaussée d’Antin
Réservation : 01 53 05 19 00
http://www.athenee-theatre.com

 

 

 

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