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Critique. « De quoi tenir jusqu’à l’ombre » par la Cie L’Oiseau Mouche à La Grande Halle de La Villette

Mar 22, 2013 | Aucun commentaire sur Critique. « De quoi tenir jusqu’à l’ombre » par la Cie L’Oiseau Mouche à La Grande Halle de La Villette

ƒƒ Critique de Denis Sanglard

La Compagnie de l’Oiseau Mouche est une troupe qui compte vingt trois comédiens, personnes en situation de handicap mental. Elle est professionnelle depuis 1981 en créant le premier Centre d’Aide par le Travail Artistique en France.

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©Frédéric

Il ne s’agit pas d’art thérapie mais bien d’un centre de formation au métier de comédien pour les adultes en situation de handicap mental. A ce jour 38 spectacles sont au répertoire de cette compagnie, de Beckett à Novarina…L’originalité de cette compagnie est d’inviter des artistes, toutes disciplines confondues, en résidence et d’élaborer des projets nés de ces rencontres pour faire de la différence une force où le corps et la paroles sont au service de projets originaux au service de l’humain.

Rendre visible l’invisible.

Donner la possibilité de voir l’indicible. Laisser entrevoir, découvrir d’autres sensations quand se dérobent soudain les certitudes du voyant devenu aveugle. Christian Rizzo, chorégraphe et danseur, et la compagnie de l’Oiseau Mouche ont imaginé un objet performatif singulier, une création originale dans son propos: mettre en situation de handicap le spectateur provoquant de fait une réflexion sur les enjeux de cécité. Quel regard portons nous sur les personnes en situation de handicap ? Et au-delà, qu’est-ce que « regarder » ? Nous avons un regard sélectif. Qui accepte ou refuse de regarder. La réalité nous la transformons. Chacun d’entre nous porte un monde à fleur de peau. Le monde du handicap est il si différent du nôtre ? Afin de nous rendre émotifs, sensibles à toutes perceptions autres que la vue, Christian Rizzo plonge le plateau dans une semi-pénombre noyée de brouillard. Cinq comédiens traversent continument l’espace vide. Se croisent, se touchent, se palpent, se caressent, s’enlacent et s’éloignent. Disparaissent, avalés par la pénombre. Ressurgissent. Seuls ou liés les uns aux autres ils se livrent à des activités faites de gestes simples qui, dans cette obscurité relative, prennent une dimension onirique  et mystérieuse. Parfois bouleversante quand des mains se tendent et qu’une tête s’y dépose doucement. Tout se fait sans heurt. Lentement. Le temps semble suspendu. La réalité se dissout dans ce brouillard. S’estompent les repères. Une autre réalité sourd, intranquille.

Nous aurions sans doute aimé être plus déstabilisé. La proposition en soi est réussie. Sans doute manque-t-il quelque chose de plus radical sinon de plus perturbant. Christian Rizzo semble comme au bord de quelque chose sans oser y entrer vraiment. Nous sommes certes troublés, et les acteurs y sont pour beaucoup, mais retenus. La bascule ne s’opère pas vraiment et nous restons un entre-deux qui nous empêche d’être complètement avec les acteurs dans le projet. Il y a une distance qui s’opère peu à peu. Non que nous soyons exclus mais à de quelques rares moments où la magie opère, un geste soudain qui bouleverse, nous n’avons pas accès à cette émotion. Il n’y a pas d’empathie réelle. Le voyeurisme est cependant évité par la grande délicatesse avec laquelle tout cela est mené. Christian Rizzo, c’est évident, n’a fait qu’encadrer les propositions des comédiens. Ce cadre là, intelligent, donne une impression d’irréalité mais cependant trop ancré encore une certaine vérité. Il me souvient d’une création de Claude Régy, même si comparaison n’est pas raison, où le spectateur était réellement et progressivement plongé dans le noir, où la perception du plateau devenait celle-là même du personnage, peintre qui perdait la vue. Cette proposition si radicale nous faisait toucher cette sensibilité extrême, ce point de non retour où la différence soudain devenait palpable puisque nous même devenions aveugles et les sens en alerte. Christian Rizzo réussit à donner un mystère mais échoue, à mon sens, à nous rendre sensibles, à nous faire passer par autre chose que le regard. Il reste un beau spectacle, une performance poétique sensible et délicate. Et des acteurs magnifiques de vérités, d’humanité.

De quoi tenir jusqu’à l’ombre
Création de la compagnie de L’Oiseau Mouche
Conception Christian Rizzo
Avec Marie-Claire Alperine, David Amelot, Chantal Esso, Frédéric Foulon, Hervé Lemeunier
Création Lumières Cathy Olive
Musique originale Cercueil
Collaboration artistique et réalisation vidéo Sophie laly
Audiodescription Valérie Castan

Pour le public malvoyant et non-voyant:
Visite tactile du plateau et du décor avant chaque représentation
Audio description du spectacle en direct

Jusqu’au 30 mars
Grande Halle de la villette / Salle Boris Vian
Mercredi et vendredi à 20h30, Jeudi à 19h30, Samedi à 19h

Samedi 30 mars à 14h: atelier de pratique artistique pour adultes mené par un comédien de la compagnie de l’Oiseau-Mouche

Réservations 01 40 03 75 75
www.villette.com
oiseau-mouche.org

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