ƒƒ Critique Anna Grahm
Who wants that ?
Il est rare que tout nous soit donné d’emblée gratuitement. Ici le spectacle commence par l’expérience du don. Une jeune femme en maillot de bain et un homme en slip proposent à qui veut une foule d’objets insolites tels qu’une boite à bulle de savon, des fleurs en tissu, un pistolet à eau, du papier d’Arménie, une capote, un passeport, un séchoir (et j’en passe), qui étrangement trouvent preneur rapidement. Et si la farce nous amuse à cause de l’impression ‘balayette’, à ce stade nous sommes déjà en train de nous demander si nous ne sommes pas pris pour des imbéciles et si nous ne sommes pas en train de prendre tout ce qu’on nous donne pour argent comptant. Car décidemment on veut vraiment n’importe quoi ! Le couple poursuit sa démonstration et demande en retour au public un tee-shirt, un pantalon, des chaussures. Puisqu’ils ont donné, ils misent sur la générosité de leurs semblables, et ça marche. Quelques uns se déshabillent ou se déchaussent et lorsque certains refusent de donner leurs montres, ils promettent un dédommagement. Mais comme ils n’ont pas d’argent sur eux ils sollicitent à nouveau le public afin qu’il leur prête de l’argent qu’ils jurent de rendre au centuple. C’est l’effet boule de neige. Nous sommes passé du troc au prêt avec intérêts, nous avons glissé dans la logique marchande. Mais la proposition dérape à nouveau. Revêtus par le public, ils s’emploient à nous divertir et nous font deviner quelques grosses machines telles que Godot, Guerre et paix, (j’en passe) pour arriver à Titanic. Chaque fois quelqu’un de pointu reconnaît très vite l’ersatz de scène, et alors qu’ils ne suggèrent que l’écume des choses, nous réalisons peu à peu que nous sommes sensibles aux moindres clins d’œil, réactifs à souhait à toute cette culture que nous avons en commun et en parfaite connivence même avec les produits culturels les plus commerciaux. Avec Titanic nous avons touché le fond en juxtaposant les grands classiques et les films grand public.
Critique du prêt à porter culturel
Mais la critique pousse plus loin et comme des tribuns, ils traversent quelques concepts, revisitent le fameux concept de Rousseau, syndrome de la clôture. Ici il faut préciser qu’une bonne connaissance de l’anglais (langue des affaires) est requise pour suivre un tant soit peu les diverses démonstrations théoriques. Heureusement l’interrogation sur la place de chacun et la façon dont ils la revendiquent à coup de paires de claques, nous remet les idées en place et leur façon de danser apparemment sans rapport avec les propos, illustre un peu plus notre difficulté à décider de la nôtre, et dénonce notre incapacité chronique à sortir du système. S’ensuit l’invraisemblable vente du spectacle lui-même, dont ils offrent l’exploitation pour une durée de 50 ans. Avant de le mettre aux enchères, ils épluchent, comme il se doit, les termes du contrat, utilisent comme ‘teasing’ la très accrocheuse critique en Danois, à laquelle nous ne comprenons évidemment rien sauf qu’elle nous renvoie aux messages/mensonges de la publicité. C’est donc dans cette logique de marché qu’ils nous précisent qu’ils veulent exclusivement du liquide, logique à laquelle la salle adhère complètement. L’opération bouclée, ils font l’addition et constatent que l’accumulation des faux frais au regard des recettes minimes est tout simplement disproportionnée. Faut-il voir dans ce surcout notre boulimie de surconsommateur ? Faut-il nous rappeler à l’ordre et conclure que l’on est toujours rattrapé par l’argent et que l’on nous présentera toujours la note à payer ?
L’homme avait exigé qu’on le regarde car il n’aimait pas parler dans le vide. Certains étaient entrés dans la salle les mains dans les poches et j’en vois une dans la rue qui repart tranquillement avec son séchoir sous le bras ! Sommes-nous à ce point dans l’obéissance des conventions, toujours prêts à nous fondre dans des usages dont nous n’avions pas besoin?! La musique qui ponctuait le spectacle ‘As time goes by’ de Casablanca était lancinante comme une mécanique installée malgré nous et nous nous demandons après coup si ce ‘Common Sens Project’ peut enrayer ce programme inscrit en nous, si nous savons parfois le désactiver ou s’il est déjà trop tard pour s’en inquiéter. Quand on voit à quel point nous avons réagi pareillement aux sollicitations, on est étonné du peu de résistance et de notre singulière docilité. Mais qui veut vraiment désamorcer la surenchère et pouvons-nous encore nous le permettre ?
CMMN SNS PRJCT
Conception et interprétation de Laura Kalauz et Martin Schick
Les 11 – 12 et 13 février à 19h30Théâtre de la Bastille
78 Rue la Roquette 75001 Paris
Métro : Bastille
Réservation : 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com/