ƒƒ Critique Anna Grahm

 © DR

Boy Scout ou boycotter

C’est un peu le coup de foudre entre ces deux gratte-papier parisiens. Ils se ressemblent comme deux jumeaux, même âge, même travail, mêmes habitudes, ils se trouvent qu’ils ont traversé toute leur vie les mêmes paysages à mourir d’ennui. Cette rencontre leur donne du baume au cœur et de l’élan pour faire enfin ce qu’ils n’osaient entreprendre jusque là. Grâce à un héritage tombé du ciel, ils s’offrent le luxe de tout plaquer pour aller vivre en Normandie.

C’est un peu le coup de foudre entre ces Dupond et Dupont mais attention entre les deux compères il ne sera jamais question que de partager leur solitude, question de principe, pas question de retourner à l’ancienne vie, ils ont tant besoin l’un de l’autre pour avancer. L’un semble en tout point la moitié de l’autre, et ils sont si étrangement mêmes qu’ils pourraient être une seule et même personne. Ces deux photocopies vont, avec une curiosité naïve, se mettre au vert et à toucher à tout, jardinage, élevage, breuvage, enfantillage, bidouillage, ils sont ouvertsabsolument à tout, s’agitent, maladroits, enthousiastes, prennent tout un tas d’initiatives qui finissent toutes par rater. Ils ratent tout mais qu’importe. Mais leurs tentatives vaines ne les arrêtent pas le moins du monde, eux qui voulaient sortir de leurtrain-train, désirent tout connaîtrede ce qu’ils découvrentet foncent dans chacun de leurs projets en ordre dispersé. Et c’est au gré de leurs caprices, de leurs lubies saugrenues qu’ils se mettent en tête de tout voir, tout vouloir, tout savoir. Mais c’est toujours la même quête, mais ‘tout est buée’, tout est vent et poussière.

‘Ne plus tolérer la bêtise’ Flaubert

Dans cette énumération à la Prévert, Flaubert a voulu dénoncer sur le ton de la comédie les sots de son époque. Son roman publié à titre posthume en 1881 est un texte inachevé dans lequel l’auteur a voulu consigner, comme un testament, sa colère de la bêtise humaine. Ses personnages tournent en rond, ne font rien à fond, n’essaient jamais de faire mieux, car quand ils échouent lamentablement, ils changent de cap. Ils sont ridicules dans leur frénésie du coq à l’âne, ridicules dans leurs raisonnements à l’emporte pièce, et décousus dans leurs façons d’agir. Et pourtant nous avons de l’empathie pour ces deux Augustes, aïe, malgré leurs travers, de tout consommer, tout contrôler, malgré des initiatives qui ne reflètent que leur vacuité, malgré leurs débordements qui excèdent largement l’entendement, nous avons une certaine tendresse pour eux. Aïe doit enrager Flaubert qui avait prophétisé que les hommes seraient bientôt tous des machines. Les deux acteurs Roch-AntoineAlbaladéjà et Philippe Blancher sont de formidables jongleurs de trop pleins et c’est avec une précision d’orfèvres qu’ils transposentnotre peur du vide. La mise en scène de Vincent Colin les fait jouer en miroir, et leurs faces de lune nous renvoient notre reflet d’interconnectés. Mais l’ensemble reste un peu lent, et ça tire un peu mou, la satire qui enfonce le clou. Est-ce parce que l’on a changé de braquet, que l’on a pris l’habitude de la vitesse, que l’on se distancie à ce point de leur activisme systématique qui est pourtant en tout point le nôtre ? Aïe. Peut-être est-on tellement confronté à la bêtise de notre époque que la dénonciation de Flaubert nous paraît presque trop douce. ‘Le génie, inutile de l’admirer, écrivait-il, c’est une névrose’.

Bouvard et Pécuchet de Gustave Flaubert
Mise en scène de Vincent Colin
Avec Roch-Antoine Albaladéjo et Philippe Blancher
Jusqu’au 20 février au 14 avril 2013 à 20 h

Théâtre du lucernaire
53 rue notre dame des champs 75006 Paris
Métro : Notre dame des Champs
Réservations : 01 45 44 57 34
www.lucernaire.fr

Be Sociable, Share!

•