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Critique • «Antigone» par les acteurs du Théâtre National Palestinien au théâtre des Quartiers d’Ivry

Mar 07, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • «Antigone» par les acteurs du Théâtre National Palestinien au théâtre des Quartiers d’Ivry

Critique de Camille Hazard

Créé le 28 mai 2011 à Jérusalem, l’Antigone palestinienne d’Adel Hakim transporte ses racines et sa rage jusqu’au théâtre des Quartiers d’Ivry.

Pièce de Sophocle portant à bout de bras la question de la terre, du politique et du religieux : Quoique de plus naturel, pour cette troupe du Théâtre National Palestinien, que de faire sienne cette œuvre universelle !

Le metteur en scène Adel Hakim n’est pas tombé dans le piège attendu de réduire le propos de Sophocle à la situation géopolitique de la Palestine. Le conflit, omniprésent mais sous-jacent, sera à l’origine de cette tragédie: à Thèbes, les deux fils d’Œdipe se retrouvent face à face lors d’une dernière bataille dans laquelle tous les deux trouveront la mort. Mais alors qu’on offre à Etéocle tous les rites funéraires, le cadavre de Polynice, lui considéré comment un traître de la patrie et comme un ennemi, est laissé pantelant sans sépulture, aux chiens et aux oiseaux de proie. Antigone bravera l’interdiction d’ensevelir son frère et défiera son oncle Créon jusqu’à la mort…

©Nabil Boutros

« Tant qu’un homme n’a pas gouverné, qui pourra dire le fond de son âme ? ». Créon

La mise en scène et le jeu sont très réalistes, la cité de Thèbes est ancrée dans un urbanisme très moderne, froid, métallique. Le Mur se dressant dans le fond de scène, prend des allures d’HLM, avec l’alignement de minuscules fenêtres. Quelques chaises et tables de bistros encadrent le plateau à cours et à jardin. Au centre, la scène prend le rôle de place publique, de ring, de bouche d’aération de métro, d’espace-temps dans lequel se perdent les personnages en proie à leur destinée tragique. Si ces éléments de décors ont un sens et une esthétique certaine, ils ne sont pas nécessaires tant la pièce est portée par le jeu des comédiens. Des corps présents, magnifiques d’engagement et de sincérité. Hussam Abu Eisheh (Créon) et Mahmoud Awad (Tirésias, Chœur) imposent un jeu profond : des mouvements et des gestes découpés au scalpel, et des moments de « lâcher prise » dans lesquels on voit ressurgir l’éternelle question de notre condition humaine : « Pourquoi ? ». Si le jeu de la comédienne Shaden Salim paraît un peu vert au début, un peu étriqué, on comprend vite la volonté du metteur en scène de présenter une Antigone chétive et sans éclat jusqu’à la scène de confrontation avec Créon où son jeu s’amplifie, s’arme et bascule dans le tragique. Son monologue de fin est poignant de vérité. Enfin, sur scène les acteurs font bloc ; on les sent soudés, complices, avec une nécessité de jouer jubilatoire !

Si Adel Hakim semble à première vue privilégier la question du politique et du religieux au sein de la cité (références contenues au printemps arabe, utilisation d’un as-subha, chapelet musulman, geste de prière catholique…) l’ampleur mythologique se dévoile à la fin à travers une danse frénétique qu’exécute Créon et faisant écho à une scène d’ouverture du spectacle. La boucle est bouclée, les Hommes emprisonnés à l’intérieur de leur destin, ne sont que les jouets des Dieux. La musique (Trio Joubran) obsédante est comme un fil tissé dans et entre les scènes. Fuyante elle annonce l’irrémédiable tragédie.

©Nabil Boutros

Ce spectacle, interprété par la troupe du Théâtre National Palestinien, trouve toute sa place en dehors de la Palestine. Car cette création d’Antigone est une merveille d’engagement, de message de paix, d’envie de vivre mais également un merveilleux travail artistique accompli : la puissance de jeu des comédiens, la sobriété et la force de la mise en scène placent cette troupe parmi les plus grandes.

Antigone

De Sophocle
Mise en scène : Adel Hakim
Avec les acteurs du Théâtre National Palestinien : Hussam Abu Eisheh, Alaa Abu Garbieh, Kamel Al Basha, Mahmoud Awad, Yasmin Hamaa, Shaden Salim, Daoud Toutah
Scénographie et lumière : Yves Collet
Musique : Trio Joubran
Texte arabe : Abd El Rahmane Badawi
Texte français : Adel Hakim
Traduction Elias Sanbar
Poème, texte et voix : Mahmoud Darwich
Assistant mise en scène Raymond Hosni
Costumes : Shaden Salim
Vidéo : Matthieu Mullot et Pietro Belloni
Photos : Nabil Boutros
Régie générale : Eric Gaulupeau
Régie Lumière : Léo Garnier
Régie Son et vidéo : Nicolas Faviere
Régie plateau : Antoine Raulin
Habilleuse : Dominique Rocher

Du 5 au 31 mars 2012
A 20h sauf le lundi et jeudi 19h (relâche le dimanche)

Théâtre des Quartiers d’Ivry – Studio Casanova
69 Avenue Danielle Casanova – 94200 Ivry Sur Seine – métro Marie d’ivry
Réservations : reservation@theatre-quartiers-ivry.com / 01 43 90 11 11

www.theatre-quartiers-ivry.com

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