Critiques // Critique • « 1984, Big Brother vous regarde » de G.Orwell m.e.s. S.Jeannerot au Théâtre de Ménilmontant

Critique • « 1984, Big Brother vous regarde » de G.Orwell m.e.s. S.Jeannerot au Théâtre de Ménilmontant

Déc 10, 2011 | Aucun commentaire sur Critique • « 1984, Big Brother vous regarde » de G.Orwell m.e.s. S.Jeannerot au Théâtre de Ménilmontant

Critique de Rachelle Dhéry

Proche de sa propre fin, George Orwell, en 1948, nous livrait une vision terrifiante de l’avenir dans son œuvre majeure « 1984 ». Au cours de sa vie, avant d’être romancier ou chroniqueur, il avait tourné le dos à l’impérialisme britannique en Birmanie, connu l’extrême pauvreté à Paris et à Londres, et assisté aux ravages des totalitarismes nazis et soviétiques, après la guerre d’Espagne. Et quiconque découvrant son œuvre pour la première fois (grand bien lui en fasse), y retrouvera l’histoire du monde de la première moitié du XXème siècle, mais, plus effrayant encore, y croisera des similitudes troublantes avec notre société actuelle. Mais chut ! Big Brother nous observe peut-être…

« Qui contrôle le présent, contrôle le passé, qui contrôle le passé, contrôle l’avenir. »
George Orwell

L’histoire se passe à Océania, en 1984. Winston Smith (Sébastien Jeannerot) travaille aux Archives du Ministère de la Vérité, en tant que membre du Parti extérieur, où il subit conditionnement et propagande. Dans un coin de son appartement, à l’abri du regard indiscret du télécran où Big Brother le surveille, Winston tient un journal dans lequel il condamne le Parti, Big Brother et la société totalitaire dans laquelle il vit. Dans le quartier des prolétaires, M. Charrigton l’antiquaire (Sébastien Gorteau) lui loue une chambre vieille mais dénuée de télécran, dans laquelle il retrouvera le plus souvent possible, à l’abri du regard inquisiteur, son amour interdit Julia (Florence Nilsson), une de ses camarades du parti. Après avoir hurlé sa rage factice contre Goldstein, le soi-disant ennemi du Parti, pendant les deux minutes de la Haine, Winston est accosté par O’Brien (Jean Térensier), qui prétend faire partie de la Fraternité, une société secrète agissant dans l’espoir de renverser le parti. Winston et Julia se joignent à lui. Mais c’est un piège. L’antiquaire les dénonce à la police de la Pensée. Ils sont arrêtés et conduits au Ministère de l’Amour, où ils seront torturés par O’Brien et rééduqués jusqu’à ce qu’ils aiment véritablement Big Brother et oublient de s’aimer l’un l’autre.

Après avoir lu « 1984 », on a qu’une envie, c’est d’oublier qu’on l’a lu. Parce que l’atmosphère y est étouffante, l’histoire angoissante, les héros attachants, la fin insoutenable et que, malgré l’âge du roman, les points communs avec notre réalité sont terrifiants. Le lire est donc déjà en soi un acte masochiste, même s’il reste indispensable. Mais le voir ? Il faut être fou pour vouloir être spectateur d’une pièce reprenant l’œuvre d’Orwell, mais encore plus, pour la monter. Le pari semblait impossible et pourtant, ils l’ont fait. « Ce sera sûrement un ratage complet », me disais-je avant de m’y rendre, et pourtant, je me trompais.

Un spectacle d’Art Total, une belle réussite.

« Ils », c’est d’abord Alan Lyddiard qui a adapté l’œuvre à la scène en Angleterre, où elle est couronnée de succès, avant de participer à l’adaptation française, avec l’admirable Sébastien Jeannerot, producteur, réalisateur, co-metteur en scène et Winston sur scène et François Bourcier, co-metteur en scène de la pièce, qui laisse subtilement à la pièce des empreintes de son passage. Ce défi insensé, ils le relèvent notamment grâce à une scénographie pertinente et percutante. Une structure métallique imposante sur laquelle sont fixés des télécrans, nous affronte dès le début. Modulée, modifiée, découpée, recollée dans tous les sens par des comédiens masqués (masques à gaz, pas masques de commedia…), les pans de la structure sont pris dans une chorégraphie étudiée au millimètre et presque poétique, rendant efficacement les changements de lieux et d’ambiances. Sur les écrans, des archives de guerre ou le court-métrage réalisé par S. Jeannerot, des projections croisées, des annonces, comme une extension de la scène. En effet, le mariage théâtre-vidéo fonctionne très bien. L’un se sert de l’autre et la réciproque. Le résultat est savoureux.

Costumes, musique, lumières, tout est fait pour contribuer à l’étouffement. Les comédiens s’en sortent très bien et Jean Térensier est magistral. Le roman n’est en rien dénaturé. Bref, c’est un très bel hommage rendu à l’écrivain et une pièce à ne manquer sous aucun prétexte, pour ceux qui n’ont pas peur de sortir de leur zone de confort.

1984, Big Brother vous regarde
De : George Orwell
Adaptation : Alan Lyddiard
Mise en scène : Sébastien Jeannerot
Avec : Sébastien Jeannerot, Florence Nilsson, Jean Térensier, Sébastien Gorteau, et Florian Jamey en alternance avec Jacques Trin.
Silhouettes / régisseurs plateaux : Anne-Sophie Barla en alternance avec Lucie Jousse et Eric Bonnin
Régie son et lumière : Arnaud Bayssat
Création lumière : Xavier-Louis Bourcier, Carole Avilès, Sarah Touitou
Vidéo projection en alternance : Jérôme Boukni, Olivia Deshayes , Edwina Hoël

Reprise pour la 3e saison du 14 octobre 2011 au 6 janvier 2012
Le vendredi à 21h

Théâtre de Ménilmontant
15 rue du retrait, Paris 20e
Métro Gambetta – Réservations 01 46 36 98 60
www.menilmontant.info

Site du spectacle : www.infoceania.org

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