Critiques // Critique ・ Un ennemi du peuple d’Henrik Ibsen, mise en scène de Thomas Ostermeier au Théâtre de la Ville

Critique ・ Un ennemi du peuple d’Henrik Ibsen, mise en scène de Thomas Ostermeier au Théâtre de la Ville

Jan 29, 2014 | Aucun commentaire sur Critique ・ Un ennemi du peuple d’Henrik Ibsen, mise en scène de Thomas Ostermeier au Théâtre de la Ville

ƒƒƒ critique Denis Sanglard

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© Arno Declair

Toutes les sources de notre rapport à la politique sont contaminées 

Parce qu’il dénonce un scandale sanitaire, la pollution des eaux thermales de sa ville, le docteur Stockmann d’abord plébiscité devient très vite l’homme à abattre. Le héros n’est plus qu’un paria. On connaît la sèche misanthropie d’Ibsen, son ironie et sa cruauté…Son acuité profonde et sa vision sans concession de la société humaine. « Un ennemie du peuple » ne fait pas exception. C’est une interrogation sur la responsabilité de l’individu mais aussi du politique dans un monde de plus en plus libéral, un marché mondial livré au capitalisme d’état et une crise dont on ne voit pas le bout. Du moins c’est dans ce contexte qu’Ostermeier, habilement et avec raison, déplace « Un ennemi du peuple ».

Thomas Ostermeier s’empare avec maestria de cette pièce. Une mise en scène redoutable d’efficacité, extrêmement précise et pointue qui interroge le monde contemporain. Une fluidité confondante qui insensiblement amène les spectateurs à certains questionnements sans pour autant de démagogie démonstrative. Les acteurs eux même, dirigés au cordeau ne sont jamais dans le stéréotype. Les salauds en seraient même sympathiques. Ils sont pris dans un contexte et c’est justement ce contexte qu’ils jouent. Ils sont terriblement humains, ce sont des gens normaux pris dans une machine qui s’emballe et qui les révèle. Ce qui donne une cohérence à l’ensemble absolument remarquable.

L’analyse de Thomas Ostermeier qui désosse le texte et met à nu son mécanisme implacable est quasi brechtienne. En déplaçant la pièce aujourd’hui dans notre société devenue salement libérale il souligne la pertinence d’Ibsen et son assertion à savoir combien notre société est gangrenée, pourrie par opportunisme politique et économique. Que le débat est faussé.  « Toutes les sources de notre rapport à la politique sont contaminées » assène Stockmann.Pas de solution proposée pourtant. Ibsen laissait ouverte la conclusion, Ostermeier enfonce le clou et retors retourne le débat qu’il provoque sciemment au quatrième acte. Un quatrième acte qui voit Stockmann s’expliquer lors d’une conférence improvisée. Le public est invité à répondre, provoqué au débat. Et sans étonnement les soutiens envers Stockmann fusent de toute part, chacun de donner son avis. Ce qui aurait pu sembler démagogique tout à coup prend une ampleur particulière et franchement étrange. Certes le débat est parfaitement maîtrisé mais la parole se libère. Une phrase, au hasard, entendue « Une société qui s’appauvrit d’être riche est insupportable ! ». Pour autant la question est posée insidieusement. Qu’en est il, réellement, de l’action et des solutions ? Car voilà, Stockmann, idéaliste ou nihiliste, n’est pas plus un héros que vous et moi. Après avoir reçu des jets de peinture, être menacé de condamnation pour corruption, son dernier geste, laissé en suspens, ne clôt pas l’affaire mais laisse une conclusion ouverte et terriblement ambigüe…Finalement Stockmann, fragilisé, nous apparaît soudain inconnu. Que devient alors notre propre jugement face à cet homme ? Thomas Ostermeier retourne ainsi le couteau dans la plaie et renvoie chacun à ses responsabilité, son libre arbitre. L’homme est corruptible, contaminé lui aussi par le politique et l’intérêt. Et s’il ne l’est pas c’est un ennemi à abattre. Nous qui acquiescions à son action lors de ce quatrième acte que devons nous faire désormais? Et que ferions nous ? C’est d’une terrible et cruelle ironie.

Un ennemi du peuple
de : Henrik Ibsen
mise en scène : Thomas Ostermeier
adaptation et dramaturgie : Florian Borchmeyer
scénographie : Jan Pappelbaum
costumes : Nina Wetzel
musique : Malte Beckenbach, Daniel Freitag
lumières : Erich Schneider
Dessins muraux : Katharina Ziemke
avec : Thomas bading, Christoph Gawenda, Moritz Gottwald, Ingo Hülsmann, Eva Meckbach, David Ruland, Stefan Stem

Théâtre de la Ville
2 place du châtelet
75004 Paris
du 27 janvier au 31 janvier à 20h30
Samedi 1 février à 14h et 21h
Dimanche 2 février à 15h
en allemand surtitré en français.
locations 2 place du châtelet 75004 Paris//3& rue des abbesses 75018 Paris
01 42 72 22 77
www.theatredelaville-paris.com

 

 

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