Critiques // Critique ・ « Tilt » de Sébastien Thiéry, mise en scène de Jean-Louis Benoit, Théâtre de poche

Critique ・ « Tilt » de Sébastien Thiéry, mise en scène de Jean-Louis Benoit, Théâtre de poche

Déc 15, 2013 | Aucun commentaire sur Critique ・ « Tilt » de Sébastien Thiéry, mise en scène de Jean-Louis Benoit, Théâtre de poche

Critique Anna Grahm

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© tilt_030_brigitteEnguerand

« Un cri, c’est le vide érigé en art de vivre » Jean Arp

Deux messieurs, un peu coincés, se rencontrent dans un bistrot. Ces deux-là viennent de loin, sortent tout droit d’une province du siècle dernier. Se disent « heureux moyens » et ne comprennent rien à leur vie. Lisses, presqu’effacés, ils prétendent suivre le mouvement. Aussi s’en tiennent-ils au minimum. Sans entrain, sautent d’un sujet à l’autre, tressaillent et se méfient de tout, tout le temps. Pourtant ces grands timides, empesés vont peu à peu se dévoiler et nous emporter dans un tourbillon ubuesque. À les voir si maladroits, si encombrés, on ne les soupçonne pas d’être aussi radicaux. Avec leurs gestes de guingois et leurs « cris d’homme » sans revendication, on les collerait volontiers dans un tiroir à rire. Mais ne vous fiez pas à ces deux petits « monsieur », car ce qu’ils finissent par s’avouer avec une pudeur toute enfantine est proprement monstrueux. Mais eux, échangent tranquillement, sans aucune férocité, sans aucune perversité, la noirceur qu’ils côtoient. Ils ne portent aucun jugement l’un sur l’autre, ont cette naïveté un peu folle, de prendre pour argent comptant, tout ce qui vient. Deviennent même un peu amis à force de s’être revus, après tout, ne partagent-ils pas ce « mal à exister », cette même absurdité extravagante. Comme les dadaïstes, ils ont fait table rase des valeurs de la société, tuent leurs pères, font l’amour à leurs mères, comme les dadaïstes parlent une langue qui explose les limites de la normalité. Une vraie paire d’imbéciles, ni tout à fait heureux, ni complètement malheureux, deux doux dingues qui nous baladent entre attraction et répulsion. Attraction car l’on est attiré, séduit, par leur côté subversif, parce qu’ils déroutent notre logique. Répulsion de leur vulgarité, qui se joue entre hommes, que l’on trouve tellement facile. Les rieurs se roulent dans le gras avec une facilité déconcertante. On s’essouffle.

La mise en scène de Jean-Louis Benoit n’hésite pas à forcer la caricature, faisant entrer une serveuse à barbe et un Ken en plastique grandeur nature. Les acteurs sont plus beckettiens. Saluons leur étrangeté toute en finesse, leur façon inadéquate d’être au monde, de rester tout à la fois dérisoires, désinvestis et totalement délirants.

Bruno Solo, et son comparse et auteur Sébastien Thiéry, sont cocasses, légers, et délicieusement border line. Et surtout, ils savent nous montrer l’indicible solitude dans laquelle nous sommes tous pris.

 

Tilt de Sébastien Thiéry
Mise en scène Jean-Louis Benoit
Avec Bruno Solo et Sébastien Thiéry
Au théâtre de poche
75 Bd du Montparnasse 75006 Paris
Du 13 décembre au 1er mars
Du mardi au samedi 21 H
Dimanche 15 h
www.theatredepoche-montparnasse.com

 

 

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