Critiques // Critique ・ Scènes de la vie d’acteur de Denis Podalydès, mise et en scène et jeu de Scali Delpeyrat

Critique ・ Scènes de la vie d’acteur de Denis Podalydès, mise et en scène et jeu de Scali Delpeyrat

Oct 13, 2013 | Aucun commentaire sur Critique ・ Scènes de la vie d’acteur de Denis Podalydès, mise et en scène et jeu de Scali Delpeyrat

ƒƒƒ Critique Anna Grahm

« Les rires me font des oreillers frais »Denis Podalydès

La scénographie est tellement épurée qu’elle laisse à l’imagination une immense liberté. On dirait qu’il sort d’un livre. Un personnage dans un drôle d’accoutrement se glisse entre deux pages. Qui est-il ? Une vocation, une nature, un doux rêveur du monde ? L’acteur coincé dans sa coulisse nous confie sa peur d’un jour de première. Sous sa perruque longue, il nous ouvre le théâtre de son cerveau, libère ses folles angoisses. L’instant d’après, le voilà projeté sous la lumière de Marivaux, dans le rôle du Marquis, « très en forme, je n’ai pas à me forcer ». pourtant le voilà sur le plateau, à la merci d’un trou de mémoire. De la pensée s’est glissée dans sa voix explique-il. Il avait senti qu’il « parlait mort», qu’il était en « retard sur son corps », il cherchait le souffle, le sentiment, il savait bien qu’il ne fallait pas être trop confiant.

Scènes de la vie d'acteur

L’acteur parle de l’acteur, de la recherche de perfection, du rôle qui échappe mais pas seulement. À ce moment-là il est suspendu « devant le rien », à ce moment-là, il s’accroche au fil tendu par sa partenaire bienveillante, nous rappelant au passage, l’importance du chainage humain dans la fabrication d’un spectacle. « Au bord du précipice » il nous emporte dans son déséquilibre cocasse et son rétablissement machinal, il partage avec nous les affres qu’il côtoie qui se cachent sous la volupté du jeu.  Et il tourne la page, se retrouve dans sa loge, retourne à sa vie, à son passé, ironise sur son parcours d’étudiant en philosophie, revient sur sa volonté farouche d’être à la fois la main et l’outil au service de l’art. Il porte une attention élevée à son travail, il est d’ailleurs toujours en travail, détaille ses erreurs, retaille dans l’autocritique, taille dans ce qu’il vient de faire qu’il veut encore et toujours perfectionner. Toujours à l’œuvre, il s’ingénie à creuser, penser, repenser, nous montrant que le travail n’est jamais terminé, que le créateur est toujours à l’affut, sans cesse en mouvement. Son adresse reste légère, poétique, extravagante.

La mise en abîme du précipice le fait se percher dans l’ombre d’une corbeille, d’où il observe le fantôme de son frère défunt. La nostalgie se déploie, révèle la force qu’il faut « pour agir, entrer, sortir ». La bête de travail redevient sous nos yeux un enfant dévasté. Et l’homme doute de sa légitimité, et l’homme tourmenté regarde celui qui le hante et pioche dans ce modèle, la mélancolie dont il estime manquer pour jouer Alceste.

Denis Podalydès a croisé Scali Delpeyrat au conservatoire et fut ébloui par l’aisance, la liberté et la drôlerie de son cadet. Nous aussi.

Scali Delpeyrat a lu ce que Denis Podalydès consignait dans ses carnets de notes et a été séduit par leur style, l’humour, et leur poésie. Nous aussi.

Ses deux « frères », engagés dans une même passion se nourrissent de cette admiration réciproque, et de l’amour des mots. Il se pourrait bien que ces « matadors » insufflent aux esprits désabusés, aux élans taris, l’envie de se rendre, comme eux, maîtres de leurs destins.

Scali Delpeyrat est un orfèvre, il opère les manques, que Denis Podalydès a couchés sur le papier. Scali c’est Denis, c’est de l’humain qui fait, ce sont les doutes passés au scalpel, toutes les interrogations attachées à la création. Que cherche celui qui vit sous la lumière, une satisfaction personnelle, une reconnaissance publique ou comme le talentueux Scali nous le suggère, l’accomplissement d’une vie. Car l’homme de théâtre n’est-il pas tout à la fois, un amplificateur de voix, un multiplicateur de voies et un développeur de la conscience ?

Scène de la vie d’acteur
Denis Podalydès
Mise en scène et jeu de Scali Delpeyrat

Jusqu’ au 10 novembre 2013 à 21 h – Dimanche 15 h – Relâche lundi, mardi 15 et vendredi 1er novembre

Théâtre du rond point
2 bis avenue Franklin D. Roosevelt paris 8
Métro : Franklin Roosevelt
Réservation au 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr

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