ƒƒ Critique Djalila Dechache

Pour le centenaire de la naissance de Marguerite Duras (1914), des créations sont à l’affiche dans les théâtres. Après « La maladie de la mort » au théâtre du Vieux-Colombier, l’Atelier propose un tryptique de mises en scène de Didier Bezace redevenu depuis 2014 directeur de compagnie.

Devant un parterre de professionnels, le 10 février, trois pièces marquant « les trois âges », de l’œuvre de M. Duras ont été jouées.

En ouverture de soirée, Marguerite et le Président, un texte étonnant de 1985, composé d’entretiens enregistrés à l’Élysée. Avec son chapeau caractéristique, François Mitterrand, (Jean-Marie Galey) se pavane devant la jeune Marguerite, campée par Loredana Spagnuolo. La conversation se déroule en plusieurs tableaux et sur des sujets aussi différents que la politique, les faits de société, ses relations avec le parti communiste, l’Afrique : celle qui « commence au fleuve Niger », les relations internationales avec les États-Unis d’Amérique. Sur ce point, le dialogue s’attarde sur le rapport du langage et de la politique, sur qu’est-ce qu’être français…. « des gaulois avec les défauts des gaulois » c’est-à-dire « à l’esprit agité, contradictoires, conservateurs, paysans ». Marguerite est très concrète en abordant des faits réels: en accord avec son peuple le bombardement de Reagan en Libye. La pièce se termine par « je vous vois comme un président clandestin» qu’il traduit par un « historiquement, selon vous je ne devrais pas être là, mais j’y suis selon la décision obscure du peuple français ».Et il s’assoupit d’aise sur sa chaise.

Une scénographie d’apparence simple mais pourtant sophistiquée. qui servira de base aux deux autres pièces. Un décor tout blanc mis à part le mur du fond qui reste noir, un large rideau sombre à large embrase le découpe, une table de bois rectangulaire suffisamment grande pour marquer la distance qui sied à deux protagonistes, l’ensemble fait penser à une boîte ou à une parenthèse, un temps suspendu. Dans ce décor aseptisé, la seule fantaisie est la petite armoire haut perchée renfermant des pots de confiture maison comme des trophées.

Le Square, texte de 1955, est une recréation de Didier Bezace. En effet en 2005, il l’avait porté sur la scène d’Aubervilliers avec Clotilde Mollet, toujours aussi magnifique : la voix claire et posée, le regard brillant, comme elle est forte dans sa fragilité.

M. Duras dit que c’est un texte écrit pour les gens modestes, ceux qui n’ont pas la parole, écrasés par leur vie de labeur. La partition est remarquable, chaque mot est important. Didier Bezace qui joue l’homme est peut-être un peu trop âgé pour le rôle, son corps courbé semble un peu trop fatigué. Il n’empêche que c’est une réussite, un texte admirablement servi.

Savannah Bay, au titre exotique de plage américaine est le troisièmeet dernieropus de la soirée, le plus épuré, le plus durassien sans doute, où l’on retrouve une Emmanuelle Riva grandiose, tragédienne, absente et présente, au regard clair, profond. Avec elle, tout passe avec une telle élégance, la gravité, la légèreté, le banal et l’important. Comment fait-elle pour avoir un visage aussi lumineux ?

Ancienne actrice de théâtre, le personnage apparaît dans un éclat de beauté foudroyante, drapée dans un costume athénien, vision baudelairienne, fugitive, l’a t-on vue, l’a t-on rêvée? Qu’importe! Juste un instant magique qui se referme bien vite.

Cycle «Marguerite Duras, les trois âges»
De Marguerite DURAS
Mise en scène : Didier BEZACE
Avec : LE SQUARE : Clotilde MOLLET – Didier BEZACE – Gaspard de SEAUVE ou Denis POP
MARGUERITE ET LE PRESIDENT : Loredana SPAGNUOLO et Jean-Marie GALEY
SAVANNAH BAY : Emmanuelle RIVA et Anne CONSIGNY

jusqu’au 9 mars  – Le Square: mardi, jeudi et samedi à 19 heures, dimanche à 15 heures – Marguerite et le Président : mercredi et vendredi à 19 heures, dimanche à 17 h 30 –  Savannah Bay: du mardi au samedi à 21 heures, dimanche à 19 h 30.

Théâtre de l’Atelier
1, place Charles Dullin, Paris 18^e.
Métro Anvers
Réservation : 01 46 06 49 24
www.theatre-atelier.com

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