Critiques // Critique ・ Kabaret Warszawski, de Krysztof Warlikowski / Théâtre National de Chaillot

Critique ・ Kabaret Warszawski, de Krysztof Warlikowski / Théâtre National de Chaillot

Fév 11, 2014 | Aucun commentaire sur Critique ・ Kabaret Warszawski, de Krysztof Warlikowski / Théâtre National de Chaillot

ƒƒƒ Critique Denis Sanglard

KABARET WARSZAWSKI -<br /><br /><br /><br />CABARET VARSOVIE -

© Christophe Raynaud de Lage 

Un cabaret sans nul espoir

La dernière création de Krysztof Warlikowski, Kabaret Warszawski, est une création inquiète et fébrile  sous un calme apparent. Un regard sur notre société en déliquescence où la réaction prend le pas sur le progrès. La société polonaise est ainsi épinglée mais à travers elle, effet de loupe, c’est le monde occidental dans son ensemble qui est décrypté. Le cabaret est un monde en soi, un microcosme où se reflète les inquiétudes contemporaines, mais où semble encore régner une certaine liberté. Liberté que portent les artistes affranchis de toutes règles. Un monde interlope, marginal, éphémère qui sans vouloir apporter de solution chante la catastrophe annoncée, danse sur le volcan réactionnaire qui bouillonne. Avant que l’Histoire ne le rattrape.

Ceci n’est pas une comédie musicale. C’est du cabaret. C’est du théâtre. C’est de la performance. C’est tout cela à la fois. Warlikowski s’inspire très librement de la pièce de John Van Druten « I am a caméra » , adaptation des nouvelles de Christopher Isherwood qui inspira la comédie musicale « Cabaret »  , auquel il adjoint quelques extraits des « Bienveillantes » de Jonathan Littell. Trois ou quatre chansons tout au plus, un peu de Wagner, Radio Head, et s’en est terminé. Du cabaret Warlikowski ne retient que la forme, plus libre, parcellaire et éclatée. Warlikowski dégraisse au maximum. L’intérêt réside principalement autour de la montée du nazisme et de la question juive. Pas une leçon d’histoire pour autant, simplement un rappel, un marqueur de nos peurs contemporaines et d’une catastrophe annoncée avant une rupture historique profonde. Il y eu un avant et un après la Shoah. Qui semble se répéter ad nauseam. A cela, dans la seconde partie, Warlikowski adapte le scénario de « Shortbus« , film de John Cameron Mitchell. Réponse radicale du réalisateur aux années Bush de l’après septembre 2001, un doigt d‘honneur bien planté, un fist-fucking joyeux et transgressif dans le fondement de la politique américaine. Une plongée en apnée dans la sexualité des jeunes new yorkais quelque peu déboussolés après les attentats du World Trade Center et la politique désastreuse de Bush qui s’ensuivit. avec ce constat plombant: « C’est comme les années soixante, moins l’espoir. »

Une mise en parallèle qui peut sembler étrange mais parfaitement cohérente. Ce à quoi nous assistons, dans un cas comme dans l’autre, c’est l’effondrement d’une société sous les coups de boutoir de politiques apeurées et réactionnaires, la tentation du replis nationaliste, le refus de l’ouverture et de la différence. Avec ce corollaire accablant, la chasse au bouc-émissaire. Warlikowski met le doigt sur la répétition de l’Histoire. Pas de réponse, pas de solution. Sally Bowles avance en aveugle, semblant ou voulant ne rien voir du délitement de l’Allemagne pré-nazie. Justin Vivian Bond, transsexuelle, invente magnifiquement sa vie et affirme son identité comme réponse au conservatisme frigide et puritain américain. Ce qui est en jeu c’est notre liberté individuelle, notre libre expression, ultime et dérisoire réponse contre la fascisation rampante. Cette liberté, fil rouge auquel on s’accroche vaille que vaille, c’est aussi celle des amours interdites, transgressives, comme un pied de nez à la morale et au politique. C’est Jacqueline Bonbon, vieille girl jetée du cabaret, qui aime le juif Pepe. C’est James et Jamie, couple homosexuel accroché l’un à l’autre, l‘un contre l‘autre. L’amour n’est pas une planche de salut c’est aussi une arme politique quitte à y laisser sa peau. Si la seconde partie semble tempérer la première par son apparente exubérance ce n’est qu’un effet trompeur. Le propos est le même, seules les réponses différent. Moins tragiques mais peut être plus désespérées.

La mise en scène, d’une rêche élégance, est incisive, sèche et gratte jusqu’à l’os son propos. C’est froid et tranchant comme la scénographie qui tient à la fois du vestiaire de gymnase et de la salle d’autopsie – et qui n’est pas sans rappeler celle de Purifiés de Sarah Kane- parfait pour cette dissection au scalpel. Néanmoins on reste comme fasciné – quatre heure trente durant quand même – par cette adaptation libre qui lentement distille le malaise. Warlikowski ronge son os jusqu’au bout et ne lâche rien. Si cela commence par la plus pure tradition du cabaret subversif très vite l’envers du décors, l’arrière cuisine au goût rance, prend le pas . C’est uniquement dans la seconde partie que Warlikowski insuffle un joyeux foutoir, une atmosphère bien plus folle mais tout aussi désespérée. Notre époque est foutraque. Les joints circulent mais la fumée ne dissipe en rien l’inquiétude. Warlikowski s’y entend pour mener ses comédiens au point de rupture. Leur engagement est total. Performer d’une humanité terrifiante ou pathétique ils sont magnifiques de générosité.

A noter: Justin Vivian Bond donnera un récital « Love is crazy » le 15 février 2014 à 21h30 au Grand Foyer du Théâtre National de Chaillot.

 

Kabaret Warszawski
mise en scène de Krysztof Warlikowski

Adaptation Krysztof Warlikowski, Piotr Gruszczynski, Szczepan Orlowski
Décors et costumes Malgorzata Szczesniak
Lumières Felice Ross
Musique Pawel Mykietyn
Chorégraphie Claude Bardouil
Vidéo Kamil Polak
Dramaturgie Piotr Gruszczynski
Maquillage Monika Kaleta, Joanna Chudyk

Avec Claude Bardouil, Stanislawa Celinska, Andrzej Chyra, Magdalena Cielecka, Ewa Dalkowska, Malgorzata Hajewska-Krzysztofik, Bartosz Gelner, Wojciech Kalarus, Redbad Klijnstra, Zygmunt Malanowicz, Maja Ostaszewska,
Piotr Polak, Jacek Poniedzialek, Magdalena Poplawska, Maciej Stuhr
Musiciens  Pawel Bomert, Piotr Maslanka, Pawel Stankiewicz, Fabian Wlodarek

Théâtre National de Chaillot
1, place du Trocadéro
75116 Paris
Jusqu’au 14 février 2014 à 19h
Durée 4h40 entracte compris
Salle jean Vilar
Réservations 01 53 65 30 00
www.theatre-chaillot.fr

 

 

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