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Critique ・« 15 % » de Bruno Meyssat, au Théâtre des Amandiers

Jan 13, 2014 | Aucun commentaire sur Critique ・« 15 % » de Bruno Meyssat, au Théâtre des Amandiers

ƒ Critique Anna Grahm

 

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©Pascal Victor/ArtcomArt

« Quelque chose de nouveau est arrivé. » 15% 

15 % c’est le pourcentage espéré de retour sur fonds propres qu’attendent les fonds de pensions ou les organismes de placement entrant dans le capital d’une entreprise.

D’abord, il y a ces gens en cravate et costumes noirs qui forment une chaîne humaine et se mettent à danser le Sirtaki. Tout commence par une danse. Ces hommes et cette femme forment un seul corps, ils frappent en mesure le plat de leurs semelles, jettent leurs jambes parfaitement ensemble. Ils dansent sur une musique connue d’eux seuls, que nous n’entendons pas. Ils dansent sur le silence avec leurs visages figés. Ils s’animent comme s’ils exécutaient une marche militaire, puis sans un mot, vaquent à d’autres occupations.

Ils évoluent dans un monde sans dialogue, s’activent sans émotion, se coulent d’une action à une autre, sans explication. Ils ont le goût du risque et de les voir s’amuser avec des machines à lames tranchantes, de les regarder s’emparer de ces moteurs vrombissants pour se les brandir sous le nez, fait froid dans le dos.

Il semble qu’ils n’aient pas de limite, qu’ici les rapports humains soient absents, il nous apparaît très vite qu’il s’agit de démonstrations de force, de combats féroces, de défis sportifs, de challenges abscons. Mais on est forcé de se laisser porter par l’escalade, car ici il n’y a rien à quoi se raccrocher, pas de fable, pas de Petit Poucet ni de cailloux blancs. L’univers est métallique, bruyant, animal, éclairé aux néons. Ici on offre aux malheureux sous la tente, une couverture de papier sans aucune parole de réconfort, dans le respect du plus parfait cynisme. La violence est partout. Dans la mise en danger permanente des individus, contre cette porte à laquelle ils frappent qui ne s’ouvre pas, dans le regard candide d’Homer Simpson qui passe la tondeuse, sur les casques rouges des footballeurs américains, ici les gens sont prêts à tout, jurent sur la bible, le fusil et le fric.

Les traders ramassent les restes de la broyeuse et mangent ce qui a été broyé. Déconcertant. Effarant. Glacial. Aucun point de chaleur nulle part sinon sur les écrans disséminés tout autour d’eux qui changent du vert au orange au fil des associations.

« Nous avons besoin de mauvaises nouvelles pour stimuler l’ajustement »

Travailler sur le contemporain suppose de déchiffrer les ténèbres qui nous entourent. Aujourd’hui le trou noir qui nous englue s’appelle la finance. Peu d’entre nous sont en mesure de comprendre comment cela marche exactement. Pourtant elle dicte nos vies, influe, conditionne, empoisonne nos agissements.

Pour appréhender ce qui nous échappe, 15% agglomère des images bourrées d’objets hétéroclites, se réapproprie notre mémoire collective et nous laisse le soin de nous associer où pas à ce qui fait le cœur de la notre. Bruno Meyssat nous offre de nous frotter à un sujet dépourvu de transparence. Pourtant nous continuons de patauger dans l’opacité. Tout ici est fugitif, allusif, discontinu, et si parfois nous réussissons à attraper des bribes de sens, c’est qu’elles éclairent un peu plus notre ignorance.

La parole délivrée livre des fragments de discours, on entend la voix d’Alan Greenspan, on reconnaît Bush, les sons du 11 septembre, la théorie des dominos, la crise des Subprimes. Ici et là, surgit de l’incompréhension, une source de lumière. Grâce à la lecture d’un document, alors même que l’on se relâchait, on est provoqué, convoqué, on se remet à penser à ce qui nous avait frappé que l’on avait oublié de repenser.

Et lorsque ces gens, que l’on croyait comme nous, retournent sur leur base, qu’ils restent debout sur leur socle comme de simples machines pour se recharger, nous réalisons ce que nous partageons avec eux. Cette monotonie, cet asservissement, cet assèchement, cet automatisme de nos mécanismes mentaux, cette application à détruire ce que nous construisons.

Les règles du secteur financier déconnectent les êtres de leurs scrupules, on assiste sans bouger à la dérive des comportements. L’idéologie de la finance n’a pas de frontière, pas d’éthique, elle est portée par des hommes et des femmes qui y croient. Toute la finance est une croyance. On crée des produits à partir de rien. Et ce rien on le répète, et à force de le répéter on finit par le valider. C’est alors que le rien devient réalité.

« 15 % »
Conception et réalisation : Bruno Meyssat
Avec : Gaël Baron, Pierre-Yves Boutrand, Charles Chemin, Elisabeth Doll, Frédéric Leidgens, Jean-Jacques Simonian, Jean-Christophe Vermot-Gauchy
Du samedi 11 au vendredi 24 janvier 2014
Du mardi au samedi à 20 h dimanche à 15h30

Théâtre des Amandiers
7 avenue Pablo Picasso
92 OOO Nanterre RER Nanterre ligne A
Location au 01 46 14 70 00
www.nanterre-amandier.com

 

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