Critiques // Critique • « Ubu », mise en scène Babette Masson et Guilhem Pellegrin

Critique • « Ubu », mise en scène Babette Masson et Guilhem Pellegrin

Nov 17, 2013 | Aucun commentaire sur Critique • « Ubu », mise en scène Babette Masson et Guilhem Pellegrin

ƒ critique May Lee

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© Nada Théâtre

Des légumes et de la farce

Sur une table de banquet dressée de rouge trône une coupe de fruits pareille à une corne d’abondance. Mère Ubu prépare son plan de table en attendant ses invités, tandis que Père Ubu chantonne. D’emblée, quelque chose chez eux respire le macabre : visages peints en blanc, barbe et sourcils aux traits forcés de noir, vêtements noirs. Un macabre rigolard, qui met en pièce toute tentative de sérieux. Ici, on zigouille dans la bonne humeur.Poussé par sa félonne de femme, Père Ubu conspire contre le Roi Venceslas. Elle qui voudrait voir le cul de son mari posé sur un trône plutôt que sur un tabouret de cuisine, lui susurre les mots propres à convaincre les petites têtes surplombant les gros estomacs. S’il faut trancher quelques gosiers pour manger plus souvent de l’andouille, alors soit, Père Ubu accomplira cette formalité.

Pour autant, le spectacle conviendra parfaitement aux âmes sensibles, car ici tous les trucidés sont des légumes. À commencer par le capitaine Bordure, ingénieuse marionnette faite de grappes de raisin et de bois, qui aura le privilège d’être assassiné à coup de brosse à chiotte. La nappe rouge de la table devient alors le tapis où défilent les nobles, brillamment interprétés par des poireaux manipulés à vue. Tremblants, chevelus ou boiteux, ils finiront tous en morceaux dans la bassine, tranchés par la folie d’un Ubu déchaîné. Les protestations des magistrats, simples poivrons rouges manipulés comme des bouches sans corps, n’y pourront rien. Le crime paie. Dans cette guerre menée à coup de jets de légumes, quelques trouvailles poétiques émergent : habile métamorphose d’une nappe en calèche, d’une orange pelée en couronne et d’une botte de radis en bouquet de reine.

Anodine cruauté

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Pourtant, malgré le plaisir jubilatoire de la transgression que semblent éprouver les comédiens, on peine à saisir un point de vue sur le texte. Les inventions marionnettiques fonctionnent, mais l’adaptation manque d’organicité et le rythme en pâtit. Si les acteurs respectent assez bien le souhait qu’avait Jarry de les voir jouer « comme des pantins », il nous manque, à nous spectateurs, un peu de matière pour nous sentir concernés au-delà de la farce.

Les metteurs en scène ont fait le choix de décontextualiser l’œuvre en déroulant l’action « nulle part, c’est-à-dire partout où ce qui est beau est détruit ». Du coup, c’est tout un pan du discours qui nous manque, une profondeur qui nous permettrait de rire, certes, mais aussi de nous souvenir que rien n’est moins anodin que la cruauté. De quelle manière sommes-nous concernés aujourd’hui par cette pièce vieille de plus de cent ans ? De mille manières, bien sûr. Et la drôlerie, en servant un propos, n’en aurait été que plus décapante.

© Label brut

Ubu
D’après Alfred Jarry
Adaptation pour deux comédiens, quelques fruits et beaucoup de légumes.
Adaptation: Guilhem Pellegrin
Avec: Babette Masson, Laurent Fraunié
Mise en scène: Babette Masson Guilhem Pellegrin
Mise en table, nappes et garnitures: Agnès Tiry
Costumes et maquillages: Françoise Tournafond
Lumière: Philippe Albaric
Recherche musicale: Samuel Bonnafil
Assaisonnement: Gilles Blanchard
 
Jusqu’au au 17 novembre 2013
Du jeudi au samedi à 20 h – Dimanche à 17 h
 
Le Mouffetard – Théâtre des arts de la marionnette
73 rue Mouffetard 75005 Paris
 Métro Place Monge – Censier-Daubenton – Cardinal Lemoine
Réservation 01 84 79 44 44 
www.theatredelamarionnette.com

www.labelbrut.fr

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