À l'affiche, Agenda, Critiques // Critique • « Peer Gynt » de Henrik Ibsen, mise en scène de Christine Berg, au théâtre de la Tempête

Critique • « Peer Gynt » de Henrik Ibsen, mise en scène de Christine Berg, au théâtre de la Tempête

Mai 11, 2014 | Commentaires fermés sur Critique • « Peer Gynt » de Henrik Ibsen, mise en scène de Christine Berg, au théâtre de la Tempête

Critique d’Anna Grahm

Le long chemin d’être soi

 

© JAC

© JAC

En 1867, Ibsen écrit une épopée sur la difficulté d’être soi, et nous embarque dans un voyage où il est question de faire des choix entre les raccourcis et les détours des sentiers du plaisir, et les routes des devoirs à la fois religieux et humains. « Le christianisme est mort » nous disait alors Ibsen. Peer, son personnage principal, qui ne connaît ni dieu ni maître, finira pourtant, poussé par « le grand Courbe » à revenir vers l’amour.

Peer Gynt est un être en transition, un garçon en devenir, qui rend sa mère chèvre en lui racontant des histoires à dormir debout. C’est un fils hors norme. Fantasque, délirant. Un coureur, un hâbleur, un menteur. C’est un promeneur du monde qui veut jouir de tout et de tous à tout instant, qui se laisse guider par ses instincts, ses envies du moment. Griseries, grivoiseries, folies, tout est permis. Il utilise autrui, le consomme et disparaît. Et s’il rencontre la belle Solveig, qui l’aime plus que tout, il s’en détourne et l’oublie. C’est un être d’oubli. Un compulsif. Qui veut toujours plus, tout de suite et vite. Il n’a pas de scrupule, pas de regret, pas de morale. S’empare de la virginité d’une jeune mariée. Vole après ses rêves de grandeur, rêve d’être roi, mais à chaque conquête, il meurt un petit peu. Il a tout fait cet homme-là. Change d’identité comme de chemise. Devient vénal, vaniteux, trafiquant d’esclaves, faux prophète. Il lui suffit de tirer le rideau pour changer de pays, il court pieds nus, dégagé de toute responsabilité, le nez tourné vers ailleurs. Il traverse les époques et les frontières comme par miracle mais à chacun de ses pas, celui qui veut rester lui-même, se perd un peu plus. Et c’est après bien des déboires qui le mettront face à la nécessité, et c’est après avoir croisé, sur son chemin de croix, ses multiples identités, qu’il se souviendra de lui et de la belle Solveig.

La metteure en scène Christine Berg a choisi d’enfermer ce voyage initiatique dans une arène en bois et d’accompagner son trublion à coups de percussions, de piano et de chants. Ambiance lampions forains, animaux en tissu et identité sexuelle interchangeable. Mais sous l’apparent foutraque, les boitillements et les déguisements, qui brouillent l’écoute de la poésie, la direction sans faille qui cheville les acteurs, freine aussi leur progression.

Les différents paysages sont habilement sculptés par la lumière, et le roman de la vie de Peer Gynt se lit ici entre tumultes et chancellements. Et même si l’aventure dans le monde des hommes reste cocasse, son traitement prend souvent des allures inquiétantes et sombres. La jeune Solveig est isolée dans les hauteurs de l’attente et si sa première rencontre amoureuse est frappante, particulièrement émouvante, ses disparitions/apparitions successives en fragmentent la magie.

C’est donc une quête bien intime, que ce combat contre soi-même, qui nous laisse étrangement en dehors, qui bruisse de souffrance, qui ramène toujours l’égaré du lit au lit, qui n’a d’autre but au bout du compte que nous signifier l’importance du compagnonnage, qui s’incarne dans l’esprit et le jeu de cette petite troupe. C’est en substance ce que dont parle Ibsen « vérité exagérée est écrit de sagesse à rebours », car c’est toujours après coup que nous regardons le chemin parcouru. Ce qu’il faut de force morale pour ne pas vendre son âme aux trolls. A combien de « réalités » faudra-t-il encore se confronter avant de revenir à l’apprentissage de la compassion, combien de navigations en solitaire avant d’aller à la découverte de son prochain.

 

Peer Gynt de Henrik Ibsen

Mise en scène de Christine Berg
Avec Moustafa Benaibout, Loïc Brabant, Céline Chéenne, Vanessa Fonte, Julien Lemoine, Marine Molard, Antoine Philippot, Stephan Ramirez
Musiciens Gabriel Philippot et Juline Lemoine
Scénographie et costumes Pierre-André Weitz
Lumière Elie Romero
Musique Gabriel Philippot
Assistant mise en scène Léa Cohen-Paperman

Au théâtre de la Tempête
Cartoucherie, route du Champ-de-Manœuvre 75012 Paris

Du 8 mai au 8 juin 2014
Du mardi au samedi 20 h
Dimanche 16 h
Salle Serreau
Réservation au 01 43 28 36 36
www.la-tempete.fr

Be Sociable, Share!

comment closed