Critiques // Critique • « Par les villages » de Peter Handke mis en scène par Stanislas Nordey

Critique • « Par les villages » de Peter Handke mis en scène par Stanislas Nordey

Nov 08, 2013 | Aucun commentaire sur Critique • « Par les villages » de Peter Handke mis en scène par Stanislas Nordey

ƒƒ critique Suzanne Teïbi

07-05vi672© Elisabeth Carrechio

« Personne ne peut tout, chacun peut tout dire »

Gregor revient dans son village natal, après la mort de ses parents. Un fossé le sépare de son frère et sa sœur, qui n’ont jamais quitté le village. Parce qu’il est parti, et est devenu écrivain, mais aussi parce que ce trou entre eux n’a jamais cessé d’être là, comme s’il préexistait à leur existence même. Après la mort des parents, si Gregor est l’héritier de la maison et des terres, Hans lui a demandé de laisser la maison à leur sœur Sophie, pour qu’elle puisse continuer à y vivre et ouvrir son commerce. Gregor revient alors dans ce village, et en le revoyant, il devient le témoin de ce que le temps et la modernité en ont fait. Il y rencontre une galerie de personnages, à commencer par la gardienne du chantier sur lequel travaille son frère, puis son frère et ses collègues ouvriers, sa sœur, et enfin une vieille dame qui incarne la mémoire du village. Il y voit aussi l’enfant, le fils de son frère, qui devient le symbole de l’après.

Ce texte est un poème dramatique, une suite de longs monologues de tous ces personnages, tissés par quelques dialogues. Il est accompagné par un musicien au plateau, qui intervient et soutient le texte. Chaque personnage prend littéralement la parole, pour faire état de qui il est, et de ce qu’il est. Avec l’arrivée de Gregor dans ce monde qu’il a quitté il y a bien longtemps, se dessine comme un besoin pour ceux qu’il rencontre de mettre les choses à plat. La famille s’y met à nu, implose, se raconte.

C’est une langue très mystérieuse qui se déploie dans Par les villages, ou tout est intelligible mais où tout peut nous perdre en un instant.  Les trois ouvriers, les collègues de Hans, portés par trois comédiens aux énergies très différentes, sont ceux qui donnent un nouveau tournant à la pièce, l’emmenant dans une chanson violente et fantaisiste. L’univers de ces ouvriers est remarquablement bien traité, en cela qu’il contrecarre les clichés, tant dans la langue que dans ce qui se dit. Ce sont eux qui portent les réflexions les plus profondes, dans une langue versifiée, limpide et nouvelle.  L’aller retour adresse au public/adresse aux personnages est extrêmement pertinent au vu du statut de la parole des personnages. Ils nous parlent en même temps qu’ils se parlent. Leur parole est complexe et vertigineuse.

Déplacer les villages

Les personnages évoluent dans un village soutenu par une scénographie mouvante, simple, et efficace, le village n’étant jamais vraiment représenté. Les préfabriqués bleus du chantier, là encore, déplacent le village là où l’on ne l’attendait pas. Ils projettent un monde nouveau et temporaire. Toile de fond du prologue, ces préfabriqués deviennent l’arène dans laquelle se joue la première partie du spectacle, la deuxième prenant place derrière cette zone, là où les arbres sont encore les gardiens du village. La confrontation de Gregor avec son frère est d’une violence inouïe. Dans un très long monologue, Hans y porte un véritable manifeste des petites gens. Il ré-ouvre là le fossé fraternel, lequel se creusera davantage avec l’échange entre Gregor et Sophie qui oppose la figure de l’intellectuel à celle de la commerçante, mais surtout celle d’une sœur qui avoue son amour à un frère qui le refuse – ou l’a refusé.

Par les villages se clôt par un très long monologue de Nova, l’amie de Gregor. Elle y lance un message de réconciliation et d’espoir. Si Peter Handke a ajouté ce monologue qui ne figurait pas dans la première version du texte, il lui donne une toute nouvelle tournure, et laisse place, avec ce monologue final, à la possibilité de générer autre chose, autrement. 

Par les villages
Texte : Peter Handke
Mise en scène : Stanislas Nordey
Traduction : Georges-Arthur Goldschmidt
Collaboratrice artistique : Claire Ingrid Cottanceau
Scénographie : Emmanuel Clolus
Lumières : Stéphanie Daniel
Musique : Olivier Mellano
Son : Michel Zürcher
Avec : Emmanuelle Béart, Claire Ingrid Cottanceau, Raoul Fernandez, Moanda Daddy Kamono, Annie Mercier, Stanislas Nordey, Véronique Nordey, Richard Sammut, Laurent Sauvage, Olivier Mellano, et en alternance Zaccharie Dor et Cosmo Giros

Jusqu’au 30 novembre 2013
Du mardi au samedi à 19h30 –  Dimanche à 15h30

Théâtre de la Colline
15, rue Malte-Brun – 75020 Paris
Métro Gambetta
Réservation : 01 44 62 52 52
www.colline.fr

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