Critiques // Critique • « Macbeth » de William Shakeaspeare par Mansai Nomura

Critique • « Macbeth » de William Shakeaspeare par Mansai Nomura

Juin 19, 2014 | Commentaires fermés sur Critique • « Macbeth » de William Shakeaspeare par Mansai Nomura

ƒƒƒ critique Denis Sanglard

Macbeth© Jun Ishikawa/Setagaya Public Theatre

« Le beau est infâme et l’infâme est beau. »

Deux jours ! Nous n’avions hélas que deux représentations pour découvrir l’adaptation de Macbeth par Mansai Nomura, acteur de Kyogen, grand maître en son art, reconnu pour celui-ci mais qui n’hésitant pas non plus à faire quelques incursions dans le théâtre contemporain. Directeur artistique du Setagaya Public Theatre à Tokyo, il signe nombre de mises en scène de pièces de Shakespeare usant de certaines techniques traditionnelles du nô et du kyogen. Et c’est merveille de constater combien cet apport est formidable et cohérent. L’univers de Shakespeare n’est en rien éloigné de l’imaginaire théâtral japonais traditionnel. Seule la forme diffère. Le kyogen, forme comique du théâtre japonais, mais aussi intermède au sein du nô, ce sont deux arts bien distincts aux ressources propres et c’est fort de cette connaissance que sa mise en scène prend ainsi un tour singulier. Au nô les passions tragiques, la souffrance d’un personnage. Au kyogen le comique, le trivial. Le couple Macbeth empreinte au nô, les sorcières au Kyogen. C’est une double vision qui est ainsi proposée. La souffrance et la folie de Macbeth, son ambition fatale, au regard des sorcières n’est ainsi qu‘une vaste comédie, une farce sanglante. « La vie n’est qu’une ombre qui passe, un pauvre acteur qui se pavane et s’agite durant son heure sur la scène et qu’ensuite on n’entend plus. C’est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur et qui ne signifie rien. » C’est sans doute la clef de cette mise en scène minimaliste, épurée.

Ils ne sont que cinq sur le plateau, espace nu emprunté au nô toujours – sans le pont aux fleurs, mais avec le rideau qui permet l’accès au coulisse, symbole d’un au-delà au caractère sacré – le couple Macbeth et les sorcières. Ce sont elles qui mènent la danse, cette ronde infernale qui aspire le couple Macbeth. Toujours présentes, elles jouent tous les rôles, qu’elles s’approprient en un tour de main. La force de cette mise en scène est que loin d’être littérale, elle adopte un point de vue radical : la folie de Macbeth est orchestrée par ces démons. Nous sommes dans un mugen nô ou « nô d’apparition ». Macbeth et sa femme ne sont que les instruments d’une folie manipulée par ces trois sorcières, fantômes qui ostensiblement jouent et se jouent des Macbeth, dont le dessein est ainsi tragiquement scellé. Elles sont la vérité qui démasque la vanité, la comédie du pouvoir et son ridicule funeste. Personnages empruntés au Kyogen mais dont le corps, dans sa gestuelle, n’est pas sans rappeler la danse butoh. Mansai Nomura avec intelligence et sans que cela ne heurte, réussit à entremêler tradition et modernité. Les images épurées sont d’une grande force et d‘une beauté sans artifice dans leur nudité. L’action concentrée, toutes scènes superflues drastiquement coupées, rien ne se dilue. C’est tendu à l’extrême. Economie de moyen efficace, propre au nô, qui insuffle un rythme qui jamais ne retombe. Le destin tragique de Macbeth est une catastrophe annoncée qui roule jusqu’à son dénouement sans rien qui ne puisse le retenir. Il suffit de peu pour illustrer. Pas d’effet grandiloquent ou de changement de décors. Un rideau pour forêt, une danse guerrière aussi dense que brève pour bataille, quelques confettis rouges pour illustrer un meurtre… Mansai Nomura a l’élégance d’esquisser non de souligner. Le texte prend ainsi toute sa valeur dans ce dépouillement volontaire. Et les corps, énergiques, d’une énergie concentrée, habitent formidablement l’espace et sont d’une expressivité remarquable aussi souples que soudain en alertes et tendus. Déclinaison de postures qui encore une fois empruntent aussi bien au nô, qu’au Kyogen et au butoh. Mais sans rien de figé, en apparence, en cela c’est tout autant d’une grande modernité que d’un classicisme absolu…

Et quelques lignes ajoutées au texte de Shakespeare dans le prologue suscite un autre intérêt et éclaire cette mise en scène d’un jour bien plus politique. Macbeth devient une fable écologique. Déjà des sacs poubelles jetés aux abords de la scène, d’où émergeront les sorcières, semblaient pour le moins incongrus. Ce qu’elles profèrent alors, description d’un cosmos et d’une terre souillée par les ordures, les déchets de notre civilisation, offre une lecture tout aussi pertinente. Ces trois apparitions sont la nature même observant l’homme. Macbeth et sa femme, la même entité dans leur relation complémentaire, un seul et même personnage, sont la marque de notre égocentrisme, acharné à détruire l’humanité. Pas sur que nous y gagnions. La mort de Macbeth est à ce titre magnifique quand recouvert d’une toile blanche par nos trois démons, linceul de neige qui succède aux feuilles d‘érables d‘un automne sanglant, le corps s’efface soudain et qu’apparaissent quelques fleurs…
 

Macbeth
De William Shakeaspeare
Adaptation et mise en scène : Mansai Nomura
Traduction en japonais : Shôichiro Kawai
Avec : Mansai Nomura, Natsuko Akiyama, Keita Kobayashi, Keitoku Takata, Keiji Fukushi
Décors: Rumi Matsui
Lumière: Jun Ogasawara
Costumes: Sachiro Itô
Son: Horiyuki Ozaki

Maison de la Culture du Japon à Paris
101bis quai Branly
75015 Paris
Réservations: 01 44 37 95 22

Vendredi 13 et samedi 14 juin 2014

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