ƒƒƒ critique Denis Sanglard

© Guy Delahaye

Pour qui serait, par Claudel rebuté – il y en a – et pour ceux qui ne le connaissent pas mais n’ont de lui que mauvaise réputation – il y en a toujours – sans doute peut-on leur conseiller « L’Annonce faite à Marie » mise en scène de façon simple et lumineuse par Yves Beaunesne. A vous convertir le plus irascible réfractaire à cette langue poétique terrienne et mystique. Un grand écart entre ciel et terre où Claudel, un brin hérétique comme à son ordinaire, ausculte l’âme de ses personnages, cherche le divin dans l’humain. « Drame de la possession d’une âme par le surnaturel » ainsi définit-il « L’Annonce faite à Marie », mystère tragique plein de fureur et d’ironie. Et puis il y a cette langue – toujours – qui balance entre classique absolu et étrange modernité, une poésie mâtinée des deux testaments, l’ancien et le nouveau, et d’une joyeuse trivialité.

Mise en scène dépouillée mais non austère, Yves Beaunesne fait entendre le texte. Pas de déclamation, non, pas d’emphase mais une langue qui coule le plus naturellement du monde, une partition qui roule sans effort. Cette poésie-là se parle et s‘entend. Le compositeur Camille Rocailleux a créé une partition en contrepoint qui n’illustre pas mais ouvre le texte vers d’autres champs – chants ? – possibles. Comme un écho assonant, parfois dissonant ou assourdi qui accompagne le texte et son phrasé. Une lecture en creux. Un phrasé dont les comédiens se sont emparés pour donner à l’ensemble une magnifique cohésion. C’est une des belles réussites de cette création que se répondent ainsi musique, chant et texte sans heurt aucun. Judith Chemla est une Violaine pleine d’une grâce adolescente, mutine, drôle mais avec la gravité des enfants. Elle est lumineuse, joyeuse, comme transfigurée par son rôle dans lequel elle s’immerge tout entière. Elle bouleverse par cette simplicité, cette fragilité et cette force qu’elle donne à son personnage. Chanteuse remarquable, son salve Régina vous donne la chair de poule. Sa voix qui s’élève avec ferveur est une prière adressée où le mysticisme du personnage éclate et trouble soudain la vision que nous avions de cette petite paysanne facétieuse et amoureuse. Marine Sylf donne de Mara de belles nuances, évitant d’en faire un bloc de méchanceté. Son personnage apparaît plus complexe, plus nuancé que d‘ordinaire. Tous les comédiens, dont Jean-Claude Drouot, sont ainsi dessinés avec de subtiles nuances. Yves Beaunesne signe un mystère moyenâgeux aussi délicat que des enluminures. Sans rien de mièvre; la violence et les paradoxes de notre humanité, ceux de Claudel, ne sont jamais occultés. Sur le plateau la parole prend son envol, occupe l’espace et les corps, il n’y rien qui ne lui fasse obstacle. L’extase de Violaine est aussi une extase du verbe qui pour le coup au sens littéral se fait chair. Mais surtout cette vision épurée et tout en demi-teinte, donne de Claudel une vision bien moins sectaire et plus juste.

L’Annonce faite à Marie
De Paul Claudel
Mise en scène de Yves Beaunesne
Avec Damien Bigourdan, Judith Chemla, Thomas Condemine, Jean-Claude Drouot, Fabienne Lucchetti, Marine Sylf
Dramaturgie: Marion Bernède
Scénographie : Damien Caille-Perret
Création vidéo: Mammar Benranou
Lumières: Joël Hourbeigt
Création musicale: Camille Rocailleux
Maître de chant: Haïm Isaacs
Costumes: Jean-Daniel Vuillermoz
Maquillage: Catherine Saint-Sever
Assistantes à la mise en scènes: Marie Clavaguera Pratx et Amlie Chalmey

Théâtre des Bouffes du Nord
37 bd de la Chapelle
75010 Paris

Du 24 juin au 19 juillet 2014
Du mardi au samedi à 20h30
Les dimanches 29 juin et 6 juillet à 16h
Relâche les lundis, le samedi 12 et dimanche 13 juillet

Réservation 01 46 07 34 50
www.bouffesdunord.com

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