Critiques // Critique • « La Princesse au petit pois », mise en scène Edouard Signolet au Studio Théâtre

Critique • « La Princesse au petit pois », mise en scène Edouard Signolet au Studio Théâtre

Nov 25, 2013 | Aucun commentaire sur Critique • « La Princesse au petit pois », mise en scène Edouard Signolet au Studio Théâtre

Critique May Lee

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 © Cosimo Mirco Magliocca

Un faux voyage du héros

Un Roi, sa Reine et leur fils le Prince vivent à l’écart du monde un état qu’ils nomment le bonheur. Papa et Maman couvent leur fiston sur l’air de « Cheek to cheek » et répètent comme un mantra le mot « heureux ». Trop souvent. Ça sent la méthode Coué. Reine se pavane dans un manteau rouge, collants rouges et petites mules à pompon, élégante et bien coiffée. Roi affiche un look de boyscout qui aurait piqué des affaires à papi : bermuda, grandes chaussettes en jacquard et jabot rouge, coiffé probablement avec un moulin à légumes. À l’abri de tout jusque là, papa-maman ont la surprise de découvrir que leur rejeton a des désirs à lui. « Je veux quelqu’un à moi » est la revendication qui va soulever le couvercle de cette famille trop polie. Prince, à l’instar de ses parents, veut « être deux », faute de quoi il continuera d’être « à l’envers d’heureux ». Aidé par un bon coup de pied aux fesses de ses parents, Prince prend la route à la recherche d’une « vraie princesse ». Et le voilà en chemin. Les femmes qu’ils rencontrent, princesses vraies ou fausses, ont toutes un point commun : la tyrannie. Tout d’abord, cette jeunette, couvée elle aussi, par un père dont la libido déborde du pantalon. Sa gamine au sourire niais a probablement un quotient intellectuel négatif, car elle ne sait que répéter les fins de phrase de papounet. C’est lui qui va nous décrire ses multiples qualités, qui bien sûr n’en sont pas : chanter, comme une porte grincée ; danser, comme une endive ; et papa nous annonce « qu’elle peut même avoir une conversation » : Bonjour Princesse. Bonjour, répond la gamine à son père fou de joie devant tant de talent. Ayant fait un geste inapproprié au regard des codes de la maison, Prince se fait rapidement catapulter hors de chez eux, laissant la jeune fille sur les genoux de son papa qui la berce une main entre ses cuisses et les lèvres au ras des siennes. Prince arrive ensuite chez trois femmes cannibales dans un pays glacial, qui ne cherchent à le séduire que pour mieux le manger. Puis il atterrit chez une harpie vêtue en peau de panthère, qui tient en laisse un homme-esclave. Celui-ci la distrait en singeant des animaux, rit quand elle le luit ordonne et la boucle sur un simple regard. Elle tente de capturer notre pauvre Prince mais il s’échappe. Dépité par tant de haine – on le serait à moins – il croise sur son chemin de retour une jeune femme qui émeut son cœur, mais manque de pot, ce n’est pas une princesse. Rentré chez lui, la princesse tant attendue frappe à sa porte, sous des dehors très peu princiers mais dont la vraie nature sera révélée par l’habile stratagème du petit pois sous les matelas que tout le monde connaît. Prince est heureux, il a « quelqu’un à lui ».

Machiste et trompeur

Le conte d’Andersen est très court au départ. Il ne dit rien des demoiselles rencontrées par le prince, mais mentionne simplement que malgré leur nombre, « toujours une chose ou l’autre ne lui semblait pas parfaite ». Ici, Edouard Signolet prend un bien curieux parti : les femmes ne savent qu’écraser l’homme, le séduire pour le dévorer ou l’attacher pour l’asservir. Elles sont peureuses (la Reine), idiotes (la fille à papa), cruelles, despotiques, et au mieux, mal coiffées. Qui donc tire son épingle du jeu dans cette cruelle adaptation ? Le prince est présenté comme un benêt à la limite du débile mental, le père libidineux se paye la tête de sa propre fille, et quand la Reine dit à son mari au départ du prince « Tu crois qu’il peut y arriver ? », il nous démontre qu’il ne croit pas à son fils en répondant d’un air suffisant « Il peut nous surprendre. » Est-ce drôle ? Non. Seule celle qui saura susciter l’amour authentique du prince a les accents du « vrai » et c’est la seule qui se fout pas mal de la vie de princesse.

La vraie tromperie de cette adaptation, c’est d’essayer de nous faire croire à un voyage initiatique. Toutes les « leçons » introduites par les acteurs dans les moments où ils endossent le rôle du conteur, sont pipées. « Il apprit que la faim justifie les moyens » est-elle une leçon qu’un parent voudrait transmettre à son fils ? Ce n’est d’ailleurs pas une leçon, mais un simple jeu de mot destiné à gagner une connivence avec le public. Le pauvre gamin n’apprend rien, il est écrasé par la méchanceté et la laideur qu’il rencontre, pas étonnant qu’il nous fasse un coup de calcaire. La chute, c’est « Vive le petit pois » chanté sur l’air de Just a Gigolo. L’absurde est un genre délicat à manier, et ici il a été confondu avec le non-sens.

La Princesse au petit pois
D’après Hans Christian Andersen
Adaptation : Antoine Guémy, Edouard Signolet et Elsa Tauveron
Mise en scène : Edouard Signolet
Assistante à la mise en scène : Elsa Tauveron
Scénographie : Dominique Schmitt
Lumières: Eric Dumas
Costumes: Laurianne Scimemi
Avec Elsa Lepoivre, Georgia Scalliet, Jérémy Lopez, Elliot Jenicot

Jusqu’au 5 janvier 2014 à 18h30
Du mercredi au Dimanche à 18h30
 
Studio-Théâtre de la Comédie Française
Galerie du Carrousel du Louvre
Place de la Pyramide inversée  99 rue de Rivoli, Paris 1er
Métro : Palais royal
Réservation : 01 44 58 98 58
www.comedie-francaise.fr

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