Critiques // Critique • « La dernière interview » de Jean Genet, avec Dieudonné Niangouna à la maison des Métallos.

Critique • « La dernière interview » de Jean Genet, avec Dieudonné Niangouna à la maison des Métallos.

Fév 09, 2013 | Aucun commentaire sur Critique • « La dernière interview » de Jean Genet, avec Dieudonné Niangouna à la maison des Métallos.

ƒƒ Critique Camille Hazard.

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© Audrey Dupas

En proposant à l’acteur Dieudonné Niangouna d’interpréter les dernières interviews de Jean Genet (menées par la journaliste Nigel Williams de la BBC en 1985), la metteuse en scène Catherine Boskowitz a été très inspirée ; elle nous offre un compagnonnage poignant entre ces deux artistes.

Interview pour des silences

Car si D.Niangouna incarne Genet disparu, il libère également sa propre voix ; celle de l’enfant de Brazzaville qu’il a été, celle de l’homme africain qui a appris la langue et l’écriture française sans même savoir pourquoi enfin celle du comédien et auteur engagé qui combat la sacralisation des artistes par les médias, de la théorisation de chaque parole, de chaque anecdote prononcées par ces artistes interviewés.

Ses souvenirs, ses points de vue personnels sont adressés à une seule personne du public accentuant le côté confidence de l’instant, qui contraste avec l’interview publique de Genet, filmée, enregistrée, préparée et si attendue !

Ces deux artistes se rencontrent, parlent d’une seule voix, réfléchissent côte à côté et tous deux s’attachent au moment présent, au grand dam de l’intervieweuse (Catherine Boskowitz) qui ne désarme pas, espérant récolter quelques souvenirs nostalgiques, quelques évocations démagogiques et vendables d’un passé africain pour Niangouna, revenant sans cesse aux vols et aux condamnations de Genet ; enfin plus que tout, transformer les propos des deux artistes en paroles d’évangile, en théoriciens du monde.

Mais Genet / Niangouna glissent entre ses doigts ; quittant parfois le plateau d’enregistrement avec fracas, essayant d’organiser, dans de profonds silences, leurs pensées les plus justes, les plus compréhensibles, ils répondent à une question par une autre question : les rôles s’inversent…l’interview ne peut avoir réellement lieu. Le monde de ces artistes est trop éloigné du monde médiatique, d’un monde en proie au spectaculaire. On les sent tous deux bouillonnants mais impuissants. La mise en scène de C. Boskowitz dévoile toute sa finesse et sa compréhension parfaite du personnage de Genet en le faisant réellement s’exprimer dans le silence. Ses mots, puisés dans la difficulté et l’obstination à éclairer, à convaincre, sont un gouffre verbal dans lequel il s’enfonce et s’épuise. C’est dans le temps des silences où l’œil et le regard s’éclaircissent, que les idées, l’engagement artistique et politique de l’auteur s’offrent avec limpidité. D. Niangouna transmet sur scène cette force, cette rage contenue et désarmée. Son corps, engagé dans une perpétuelle urgence, montre deux artistes insaisissables, grondant de l’intérieur, au bord de l’explosion et que seule la création peut apaiser.

Un public comme témoin, figurant, décor

Le public pénètre sur le plateau d’enregistrement de la BBC, accueilli par des cadreurs, preneurs de son, régisseurs et intervieweuse. Nous faisons partie intégrante du décor comme public d’émission. Parfois filmés comme des figurants, parfois témoins de ces échanges virulents, nous reprenons notre place de public de théâtre, prenant de la distance pour profiter du spectacle.

Catherine Boskowitz propose un spectacle–performance reposant essentiellement sur la qualité de jeu et la puissante présence de Dieudonné Niangouna. L’enchevêtrement de ces deux artistes, leur partition parfois parallèle ou à l’unisson, mettent en lumière deux cultures, deux époques mais une seule question : Quelle est la place de l’artiste  dans notre société du spectacle et du spectaculaire ?

La dernière interview
De Jean Genet
Conception et mise en scène : Catherine Boskowitz
Avec : Dieudonné Niangouna et Catherine Boskowitz
Assistante à la mise en scène : Karima El Kharraza
Création sonore : Benoist Bouvot
Création lumière : Laurent Vergnaud
Conception vidéo : Jonathan Debrouwer
Régie du spectacle : Claire Dereeper
Régie son et vidéo : Yoris Van Den Houte
Production Compagnie ABC

Jusqu’au 23 février 2013 à 21h00 (durée 1h15)

Maison des Métallos
94, rue Jean-Pierre Timbaud – 75011 Paris
M° Couronnes
Réservation : 01 47 00 25 20
reservation@maisondesmetallos.org
www.maisondesmetallos.org

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