Critiques // Critique • La Conversation de Bolzano d’après Sándor Márai (1900-1989) au Théâtre de l’Atalante

Critique • La Conversation de Bolzano d’après Sándor Márai (1900-1989) au Théâtre de l’Atalante

Avr 03, 2012 | Un commentaire sur Critique • La Conversation de Bolzano d’après Sándor Márai (1900-1989) au Théâtre de l’Atalante

Critique d’Anne-Marie Watelet

Avec ce roman écrit en 1940, Sándor Márai, né en Hongrie,  nous plonge dans les mœurs légères de la fin de règne de Louis XIV, avec trois personnages dont le Casanova qui défraya la chronique. L’histoire est ici inventée, et les passages choisis pour l’adaptation sont les quatre derniers chapitres.

Une pure intrigue amoureuse où la fin justifie les moyens, dans le  huis clos d’une chambre d’auberge.

Voilà brièvement l’affaire : Casanova, plus très jeune, se voit soudain enserré dans un contrat que son rival, le vieux comte de Parme veut lui imposer. Car l’objet de leur convoitise, à ces loups, s’appelle Francesca. Bien qu’ayant épousé le Comte, elle est sous l’emprise de la passion depuis sa rencontre d’un jour avec Casanova, il y a cinq ans. C’est simple : acheter, et très cher, la disparition du séducteur de sa vie. Mais tout va se compliquer avec l’entrée en scène du » troisième homme » pourrait-on dire, puisque Francesca apparaît déguisée en chevalier.

Les codes de l’époque bénéficient des choix et du talent dans la mise en scène et la scénographie : intimité créée avec le lit et quelques lingeries féminines symboliques, dans la lumière sombre et rougeoyante du feu de l’âtre qui crépite; atmosphère pesante qu’inquiètent par moments le vent et le hurlement d’une bête

Masque et travestissement (un bal masqué est parfait pour mener à bien une machination); amour et mort, liberté et honneur, côtoyant les plus vils procédés Les codes du genre dramatique sont là. Et ce texte romanesque, avec ses dialogues, ses monologues et l’ambiguïté, se prête bien à la théâtralité.

Le Comte, drapé dans sa dignité, use d’ironie pour déstabiliser le fier gentilhomme. H. Van der Meulen, comédien affirmé, nous en impose par sa diction parfaite, l’élégance naturelle de sa démarche et sa présence. Les accents dans la voix sont justes, sans éclats intempestifs qui ruineraient l’intensité dramatique. Face à lui, J. M. Galey incarnant ce Casanova qui se contente d’opposer au Comte un mutisme détaché, voire méprisant. Jeu difficile puisqu’il a peu de support pour donner vie à son personnage, mais les expressions de son visage, tout en finesse, la flamme sombre de son regard mobile, traduisent tantôt l’indifférence de l’orgueilleux, tantôt le balancement psychologique qui l’étreint. Car l’embarras de la situation rend Casanova désabusé tout au long de la pièce. Mais deux mots jouant sur la rupture et le paradoxe, adressés au Comte et prononcés négligemment, suffisent au comédien pour être savoureux ! Et dans les brefs monologues où pointe la lucidité, point d’amertume. Au moindre signe de fléchissement, le personnage réarme sa raison afin de ne pas tomber dans ce qui est pour lui un piège: l’amour. Casanova est représenté ici hors des clichés battus, c’est à dire plus humain, ce que le dénouement inattendu confirme. Par ailleurs, si Francesca ne parvient pas à reconquérir son amour, elle gagne sur un autre plan en sortant du rôle de femme soumise. Elle prend le pouvoir sur cet adversaire de taille ! Teresa Ovidio, jeune et belle comédienne déjà célèbre dans son pays, le Portugal, est très convaincante dans le rôle de Francesca, tant dans les déclarations d’amour désespérées que dans ses arguments pour gagner   l’homme qui lui échappe. Un instant ses larmes nous touchent, puis sa volonté et sa force de conviction dans le ton, dans le rythme énergique et juste de son discours, provoquent en nous l’admiration. C’est la femme qui l’emporte subtilement, intelligemment, ce qui, dans ce contexte, et pour l’époque, apporte une modernité bien appréciable.

Les costumes superbes jouent savamment sur le XVIIIème siècle et notre époque, mais là, de façon discrète, et évoquant aussi le libertinage. Belle réussite que le moment où J.M. Galey enfile la robe de bal !

S. Màrai s’interroge sur ce qui se dissimule sous la passion amoureuse, sur son pouvoir destructeur. On retrouve les thèmes du paraître et du mensonge. Casanova (comme Don Juan), souffre d’un manque, et a recours à la fuite de lui-même. Mais le temps le rattrape (la scène du miroir et le monologue sont suggestifs à cet égard).Ce sont les ombres de la jeunesse, et peut-être ici du regret, qui ont passé dans cette chambre, cette nuit-là.

La conversation de Bolzano

D’après Sándor Márai

Mise en scène  Jean-Louis Thamin

Traduction  Natalia Zaremba-Huszvai et Charles Zaremba

Avec Jean-Marie Galey, Hervé Van der Meulen, Teresa Ovidio

Adaptation Jean-Marie Galey et Jean-Louis Thamin

Assistant à la mise en scène : Jérôme Maubert

Dispositif scénique  Antoine Milian

Costumes  Cidalia da Costa

Lumières Jean-Pascal Pracht

Son Elio Molin

Du 30 mars au 19 avril

Lundi, mercredi et vendredi 20h 30 –  jeudi et samedi 19h –  dimanche 17h

Relâche le mardi

Théâtre de L’Atalante

10 place Charles Dullin – 75018 Paris

Metro Anvers, Pigalle ou Abbesses

Réservations 01 46 06 11 90

www.theatre-atalante.com

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