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Critique • L’apprentissage de Jean-Luc Lagarce au Guichet Montparnasse

Sep 07, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • L’apprentissage de Jean-Luc Lagarce au Guichet Montparnasse

Critique de Camille Hazard

Messe pour le temps présent

Un homme gît sous un drap blanc, pas tout à fait mort, pas tout à fait vivant non plus.

Sa tête se dénude, petit à petit, son corps caché, ses lèvres remuent.  Enfin des bribes de mots enchevêtrés dans le silence nous parviennent ; phrases lancinantes qui se construisent au fur et à mesure que l’homme renaît à la vie.

Qui est-il ? Où est-il ? Que lui est-il arrivé ? La scène entièrement recouverte et plafonnée de draps blancs, clinique, nous plonge instantanément dans la chambre aseptisée d’un établissement de santé. Une chambre dans laquelle le lit prend tout l’espace; symbole de refuge pour le malade qui attend sa guérison ou la mort, mais également un lieu obsédant, infini, omniprésent, qui dévore sa victime, qui l’engloutit.

Le corps réapprend à vivre, à bouger, à s’exprimer, l’homme tente de se glisser dans les empreintes de sa vie passée, quand vivre paraissait une évidence. Mais le corps, resté inerte, en attente d’une future vie, ne se meut pas si facilement ! Nous sommes  témoins des premiers pas d’un homme, de son apprentissage du quotidien : poser un pied, construire un mot, coordonner une phrase, se lever…

Afin de mettre en exergue ce corps harassé, appauvri, Denis Sanglard n’hésite pas à faire appel au butô, «danse des ténèbres, et de la métamorphose, qui appelle la mémoire du corps ». Chaque mouvement, chaque geste, chorégraphié, est comme taillé dans l’espace. Les mots eux-mêmes ont une texture, un poids, un goût car nourrit et pétrit avant de nous parvenir. Un détail tout de même, qui n’entache en rien la qualité du spectacle : nous aurions voulu capter plus souvent le regard de cet homme, plonger dans ses prunelles abyssales; cet homme qui constamment, évolue dans un espace clos mais qui n’a qu’une obsession : en sortir ! Nous attendons parfois une adresse, un partage, un élan vers le public pour partager au mieux ce qu’il vit. C’est dommage de ne pas profiter pleinement du comédien !

La langue de Lagarce est travaillée au scalpel, la découpe des phrases est morcelée, hachée, parfois il nous semble que les mots sont en proie à des secousses pour nous parvenir dans un souffle, un râle, un soupir, une hésitation, parfois même une ritournelle.

La mise en scène de Michel Alban est claire, limpide. Qu’il est agréable de sentir qu’un metteur en scène donne toute sa confiance à son comédien et qu’il n’affuble pas son jeu de gadgets scéniques !

Ainsi, par l’incarnation du corps et de la voix, par des moments de jeu puissants, Denis Sanglard parvient seul, à figurer le temps qui passe, le temps perdu, la promesse du temps à venir, la peur du temps qui s’échappe, le temps qui marque le corps…

Outre la question obsédante du temps, le spectacle met en scène le combat entre la vie et la mort et cet espace-temps, sorte de limbes, que nous rencontrons quand la maladie frappe.

Enfin tout est parfaitement orchestré dans ce ballet-sonate-monologue ; la musicalité, très présente dans l’écriture de Lagarce, est servie tout en mesure, dans un tempo quasi imperceptible.

L’apprentissage
De Jean-Luc Lagarce
Mise en scène Michel Alban
Avec Denis Sanglard
Lumières Zizou
Décors Antoine Malaquias
Production Triton Théâtre

Du 5 septembre au 3 novembre 2012
Du mercredi au samedi à 20h30

Théâtre Guichet Montparnasse
15, rue du Maine – Paris 14ème
M° Montparnasse / Gaîté / Edgar Quinet
Réservations : 01 43 27 88 61
www.leguichetmontparnasse.com

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