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Critique • « Je marche dans la nuit par un chemin mauvais » d’Ahmed Madani à la Tempête

Mar 17, 2014 | Un commentaire sur Critique • « Je marche dans la nuit par un chemin mauvais » d’Ahmed Madani à la Tempête

critique Suzanne Teïbi

Une maison loin de tout

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© François Louis Athenas

La saison dernière, Ahmed Madani nous avait bouleversés avec Illuminations(s), en compagnie d’une dizaine de jeunes comédiens, amateurs mais pourtant très justes, parlant d’un endroit sincère et fracassant.

Je marche dans la nuit par un chemin mauvais est un projet très différent. Le dispositif scénique est beaucoup plus classique, l’écriture et la dramaturgie aussi.

Un été, après une dispute qui a dérapé entre Gus et son père, les parents de l’adolescent l’envoient chez Pierre, son grand-père maternel, en pleine campagne. Il y restera trois mois. Là, après avoir été en résistance quelques jours, Gus se résout à adopter temporairement un mode de vie très loin de lui, celui de son grand-père. Il passe ses journées à débroussailler le jardin, cette activité remplaçant peu à peu son addiction au téléphone portable. Malgré eux, les deux hommes tissent lentement une relation singulière. Au fil des jours, la confiance se développe au point qu’ils finissent tous deux par se livrer de manière inattendue pour eux – forcément attendue pour le spectateur – et échanger au point de ne jamais pouvoir sortir de cette parenthèse comme ils y étaient entrés.

Sur le plateau, le squelette d’une maison. Celle de Pierre, le grand-père français qui a fait la guerre d’Algérie. Les évènements extérieurs, comme on les a appelés pendant longtemps. Une vraie guerre. On le sait aujourd’hui, nombre de Français en sont revenus traumatisés. Ils ont assisté à la torture des Algériens, quand ils ne s’en sont pas eux-mêmes chargés, contraints par leur hiérarchie. La plupart restent mutiques, n’en parlent pas. Ne peuvent l’oublier pourtant.

C’est le cas de Pierre qui, peu à peu, verra émerger en lui des souvenirs refoulés. Il livrera à Gus ce passé honteux qui le hante, à mesure que la présence de son petit-fils fera remonter ce passé à la surface.

Car la fille de Pierre a fait sa vie avec Brahim, Algérien. C’est de cette union qu’est né Gus.

Le théâtre et l’Histoire

Tous les éléments dramaturgiques sont réunis pour parler de cette période de l’Histoire, et de ses séquelles. Mais comment s’emparer de ces questions au plateau ?

Ici, le pas de côté du dramaturge semble nécessaire. Mais, contrairement à Illumination(s), Je marche dans la nuit par un chemin mauvais traite ce nœud dramaturgique de manière très frontale. Le premier degré ne quitte jamais le plateau – depuis les notes de piano qui viennent ponctuer les scènes et ajouter de la lourdeur jusqu’à l’histoire en tant que telle ou l’endroit d’où parlent Pierre et Gus. Ce premier degré fait que même si les comédiens se démènent et tentent de défendre comme ils le peuvent leur personnage, la sincérité ne peut émerger de ce parti pris.

Tout au long de la pièce, cette Histoire douloureuse n’est jamais vraiment prise à bras le corps.

Gus est un enfant au double héritage. Étrangement, aucune tension ne transparaît chez lui. De même, on aimerait réfléchir sur les rapports encore ambigus entre la France et l’Algérie, la culpabilité française, le déni du statut de cette guerre. Autant de points qui auraient pu donner de la profondeur à cette relation entre ce grand-père et son petit-fils. Mais toute la première partie du spectacle s’attarde sur l’apprivoisement réciproque des deux hommes. Ce moment est certes nécessaire pour qu’un véritable échange puisse advenir, mais il prend le risque d’anecdotiser le projet. Ici, la petite histoire attendue peine à dépasser la grande Histoire, trop rarement abordée avec justesse au théâtre.  

Je marche dans la nuit par un chemin mauvais
Texte et mise en scène : Ahmed Madani
Scénographie : Raymond Sarti
Lumières : Damien Klein
Création sonore : Christophe Séchet
Costumes : Karen Serreau
Avec : Vincent Dedienne et Yves Graffey

Du 14 mars au 13 avril 2014
du mardi au samedi à 20h30 / dimanche à 16h30

Au Théâtre de la Tempête
Cartoucherie – Route du Champ de Manœuvre – 75012 PARIS
Réservation : 01 43 28 36 36
www.latempete.fr

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