Critiques // Critique • « In a world full of butterflies… » de Robyn Orlin au théâtre de la Bastille

Critique • « In a world full of butterflies… » de Robyn Orlin au théâtre de la Bastille

Nov 27, 2013 | Aucun commentaire sur Critique • « In a world full of butterflies… » de Robyn Orlin au théâtre de la Bastille

ƒƒƒ Critique Denis Sanglard

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© DR

In a world full of butterflies, it takes  balls to be a Caterpillar…Some thoughts on falling…
(Dans un monde plein de papillons, il en faut des couilles pour être une chenille…Quelques réflexions sur la chute…)

Notre société est en chute libre. À l’image de ces hommes qui, des tours jumelles du World Trade Center, tombèrent dans le vide et qui hantent Robyn Orlin comme ils hantent la mémoire collective depuis ce 11 septembre. Ils sont la version tragique d’Icare dans notre mythologie contemporaine. Comment illustrer la chute ? Quelles autres métaphores seraient équivalentes aujourd’hui ?

D’emblée, quand nous pénétrons dans la salle du Théâtre de la Bastille, nous sommes quelque peu déstabilisés. C’est un vaste campement de tentes, de celles qui furent plantées sur le quai Valmy, abris de secours pour les sans domicile fixe et les mal-logés. Malaise.

De l’une d’elles surgit Elisabeth Bakambamba Tambwe, performeuse à l’abatage insensé. Elle est tout simplement stupéfiante. Rien de dire qu’elle envahit le plateau, elle l’habite littéralement. Houspille les spectateurs, les bouscule, les charme. De ces tentes envahissantes, elle va faire un objet performatif pour le moins incroyable. À croire qu’elle fit un stage auprès des Mummenschanz. Un détournement de l’objet drolatique et intelligent et pour le moins original qui n’est pas sans rappeler le travail de l’artiste Lucy Orta. Mine de rien, c’est assez subversif.

Aux questions posées par Robyn Orlin, bien qu’elle dit avec malice ne pas avoir tout compris, elle répond de façon radicale. Incarnant à sa façon les grandes figures des chanteuses noires: Billie Holyday, Nina Simone, femmes au destin brisé, broyées par la ségrégation. D’autres grandes figures noires sont évoquées: Angéla Davis notamment. Femmes qui, toutes, se relevèrent et  firent de leur chute un défi, un élan pour se relever, être debout, vent debout. Elisabeth Bakambamba Tambwe ne s’oublie pas dans l’affaire et nous comprenons de suite, vu qu’elle squatte – dit elle- le théâtre pour obtenir ces 507 heures légales, que question chute elle s’y connait… Elle ne sera certes jamais un papillon même si, côté métamorphose, elle en connaît un sacré rayon.

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Tout cela est hilarant. Et l’on n’est sans doute pas prêt d’oublier le parodie de Grace Jones, période Jean-Paul Goude, qui sans doute restera un des clous de cette performance. Qu’importe qu’elle s’endorme sur le play-back de strange fruit de Billy Holiday,  il suffit de la voix de Nina Simone magnifiquement évoquée pour que soudain nous frissonnions. Derrière ces figures convoquées et emblématiques, c’est toute la problématique de la ségrégation, de l’apartheid et de l’intégration qui surgit. Elizabeth Bakambamba Tambwe assume crânement et sans faiblir cet héritage dont semble t-il elle aussi  puise sa force.

© DR

Deuxième performance et proposition accolée à la première, Eric Languet, formidable danseur de formation classique, surgit et exige que le plateau soit vide. Elizabeth Bakambamba Tambwe est proprement expulsée, manu militari… Sa proposition est pour le moins saugrenue et paradoxale -en apparence- puisqu’il refuse net celle de Robyn Orlin. Il décline, sans les suivre vraiment , ou au pas de charge, quelques pistes. Un refus qui n’est pas sans rappeler la grève des danseurs de l’Opéra de Paris qui s’opposèrent à une proposition de la chorégraphe et de l’utilisation des images de cet homme chutant du World Trade Center lors de l‘attentat du 11 septembre. Habile retournement qui souligne le malaise devant cette image récurrente et symbolique. Non, ce qui importe, façon de fuir, c’est la danse et le surf, les deux nécessitant un équilibre certain pour éviter la chute. Et quant à faire, autant lier les deux. Ce qu’il fit, explique-t-il, en acceptant de danser pour le Royal New-Zeland Ballet parce que là-bas les plages sont idoines pour pratiquer ce sport entre deux répétitions de Giselle. Et, sur le plateau, s’emparant d’une tente restée là, il décline en tutu et sur les pointes toute les positions d’un surfeur glissant sur la vague… Car ce qui importe pour un danseur, comme pour le surfeur, est de s’élever non de tomber. On peut en rester là ou voir en tirant un peu sur la corde la position de l’artiste, du danseur luttant pour son statut et s’opposant au chorégraphe.

Rien ne relie vraiment les deux performances. On ne voit pas vraiment où est le lien. Qu’importe. Robyn Orlin a gardé cette capacité intacte de regarder avec causticité et lucidité le monde. Elle n’apporte pas de réponse mais, toujours aussi subversive, elle pose des questions urticantes en manipulant avec dextérité l’art du détournement et de la récupération. Spectacle pauvre en moyens mais riche d’idées et du talent de ces interprètes originaux. Ce qui se joue là, dans l’enjeu de cette performance, avec un semblant d’urgence, est sacrément couillu.

 

In a world full of butterflies, it takes  balls to be a Caterpillar…Some thoughts on falling…
(Dans un monde plein de papillons, il en faut des couilles pour être une chenille…Quelques réflexions sur la chute…)
Chorégraphie : Robyn Orlin
Avec : Elisabeth Bakambamba, Eric Languet
 
Théâtre de la Bastille
76 rue de la Roquette
75011 Paris
Du 21 Novembre au 1er décembre à 21h, dimanche à 17h
 
Réservations 01 43 57 42 14
www.theatre-bastille.com
 
Festival d’Automne à Paris
Réservations et abonnement  01 53 45 17 17

www.festival-automne.com

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