Critiques // Critique • « Enveloppes timbrées », direction artistique de Sébastien Lefrançois

Critique • « Enveloppes timbrées », direction artistique de Sébastien Lefrançois

Nov 12, 2013 | Aucun commentaire sur Critique • « Enveloppes timbrées », direction artistique de Sébastien Lefrançois

ƒ critique May Lee

-Visuel

© DR

Les naufragés du paraître

Sur un plateau nu, une femme examine son image dans un miroir imaginaire. Geste quotidien dont la banalité n’est qu’apparente, car son miroir donne sur un gouffre, celui du mépris de soi. Cette image n’est pas celle qu’elle voudrait voir : un cheveu blanc la tourmente, son corps moulé dans sa robe grise la déçoit. Son reflet la repousse comme un ennemi de guerre. Autour d’elle, d’autres êtres isolés vivent la même tragi-comédie. Un chauve tente de se recoiffer. Bientôt cette femme perd toute maîtrise. Son impuissance face à l’indésirable reflet la démolit. Sous le regard des autres, elle explose en gestes incontrôlables, puis se ressaisit et tente de se rebricoler une image, pour la galerie.

De ce mensonge initial nait un bal de tricheurs. Dans leurs habits passe-partout gris et kaki, les quatre danseurs paradent, dans une vaine tentative de convaincre les autres de leur valeur. Elles prennent des poses stéréotypées, comme si la seule façon d’être femme était de ressembler à Madonna dans Material Girl. Ils roulent des mécaniques à tel point qu’on se dit qu’ils ont sûrement Popeye en fond d’écran sur leur Iphone. Le son est répétitif, comme une calculatrice électrique qui débite des rouleaux d’additions. Puis ils se mettent à se manipuler les uns les autres. A la lisière de la danse et du geste théâtral, s’imposant mutuellement des attitudes corporelles contre-nature, les voilà tour à tour manipulateurs et pantins, oscillant de la tyrannie à la soumission. Des jeux de séduction bien connus se mettent en place : Monsieur Muscle contre Mademoiselle Sexe. Il exhibe ses biceps, elle écarte ses cuisses. Ces êtres semblent captifs de tous les stéréotypes et être totalement dépourvus de ressources pour communiquer entre eux autrement que par la défiance. Leurs duos amoureux sont placés eux aussi sous le signe du rapport de force. Il s’assoit sur elle, elle l’étrangle avec sa cuisse. La monture finit par se révolter, mais n’a rien d’autre à proposer. Chacun veut gagner… mais quoi ?

Sous la peau, qu’y a-t-il ?

Ce qui frappe de prime abord dans Enveloppes timbrées, c’est l’enfermement des personnages. Sébastien Lefrançois dépeint sans faux-semblant une humanité en mal de repères, des hommes et des femmes cherchant leur force là où elle n’est pas, incapables de se relier les uns aux autres. La compétition qu’ils se livrent est dérisoire, étonnant cocktail de violence et d’infantilisme. Un danseur gonfle des ballons et les glisse sous ses vêtements pour avoir l’air musclé. Dans la salle, les enfants rient. Monsieur Muscle entre dans une surenchère, il veut plus de quadriceps, plus de pectoraux, et bien sûr, un plus gros pénis. Mais son ambition va trop loin : ses ballons explosent. On dirait le clown Mac Donald à un goûter d’enfants. Un type se fait dépouiller de son pantalon et de son pull et se retrouve en slip. Là aussi, ce sont les enfants qui rient. Mais est-ce vraiment drôle ? Comme dans une cour d’école maternelle, ils tentent de voir ce que les autres ont dans le pantalon et sous la jupe, mais quand ils se retrouvent finalement tous en sous-vêtements, c’est le malaise qui s’installe. Ces enfants n’en sont plus. Aucun n’accepte d’être vu tel qu’il est.

Ces êtres semblent vouloir ce qu’ont les autres. Mais qu’ont-ils, à part leur pauvre masque de carnaval ? Quand le clown se fait voler ses muscles par les voisins et se retrouve en caleçon, ce dépouillement des apparences semble lui donner accès à plus d’intériorité. La musique se fait plus tendre, ses gestes plus ronds, plus centrés. Extrait de la guerre des apparences, il semble à même de communiquer autrement. Mais l’ouverture ne dure qu’un bref instant et chacun se remet à danser comme un automate dans son carré de lumière. Implacable mécanique. Violoncelle et percussions se font plus entêtants, comme si nous allions quelque part, vers un dénouement. Pourtant, l’isolement continue. Entre soi et les autres, mais avant tout, entre soi et soi. Au fil des combats, la peau est exposée, mais sous ces « enveloppes timbrées », le cœur reste hors d’atteinte. 

 
Enveloppes timbrées 
Direction artistique et chorégraphie :  Sébastien Lefrançois
Création musicale : Lih Qun Wong
Assistante chorégraphie : Estelle Manas
Regard complice : Muriel Henry
Création lumières : David Baudenon
Création costumes : Mario Faundez
Avec les danseurs : Mélodie Joinville, Vincent Simon, Mélanie Sulmona, William Domiquin.

Le 7 décembre 2013 – Festival H2O,
Théâtre Jacques Prévert – Aulnay-sous-Bois (93)
4 avril 2014 – La Salamandre- Vitry-le-François (51)
www.traficdestyles.com

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