Critiques // Critique • « La Religieuse » de Denis Diderot, adapté par Anne Théron au théâtre Sylvia Montfort

Critique • « La Religieuse » de Denis Diderot, adapté par Anne Théron au théâtre Sylvia Montfort

Mar 15, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « La Religieuse » de Denis Diderot, adapté par Anne Théron au théâtre Sylvia Montfort

Critique de Anne-Marie Watelet

Voilà un roman pamphlétaire tel que le siècle des Lumières a su en produire !

Anne Théron s’empare de l’histoire réelle et de sa triste héroïne pour mettre en lumière le réquisitoire que Diderot a dressé contre l’enfermement forcé dans les couvents – contre l’atteinte à la liberté. Plus que l’aspect politique, c’est la femme–victime qui est au centre de son adaptation toute personnelle et moderne.

Années 1760. Une jeune innocente, Suzanne (dans la réalité elle s’appelle Marguerite Delamare), est conduite au couvent malgré elle par sa mère : elle doit expier la faute que celle-ci a commise dans le passé, un adultère qu’elle ignorait et qui la prive de son vrai père. Je passerais sur les circonstances particulières et néanmoins « croustillantes » qui sont à l’origine de ce roman. Malgré des tentatives désespérées, des appuis sûrs et son courage, Suzanne perd son procès en justice et restera la proie de la férocité conventuelle.

Anne Théron veut nous faire assister au « développement d’une logique schizophrénique … », à l’évolution d’« un être qui en n’étant rien devient tout ». Réduit à rien. Sa mère d’abord, puis les autres « mères », les Supérieures, lui ont volé/violé son identité, son être et son corps. Il ne lui reste que sa mémoire dans laquelle elle les concentre toutes, ses mémoires et les voix amies et ennemies. Ici, pas d’illusion réaliste – seule la langue (et l’histoire) de Diderot, nous rattache au passé. Les chansons de Marianne Faithfull qui accompagnent les transports de douleur portent au plus haut   le degré d’émotion. Les fragments choisis dans le roman, tout en respectant notre compréhension, sont structurés de manière à démultiplier, à partir des étapes de la vie de Suzanne, ses souffrances, ses imprécations, ses colères, jusqu’à l’abattement ; ainsi que les voix qu’elle rapporte dans son monologue.

Marie-Laure Crochant, seule au milieu du vaste plateau dénudé, est Suzanne. Ceinte de parois transparentes, invisibles – sa cellule. « Ne me touchez pas, ne me touchez pas, apostât… » Prononce une voix off tout au long de la pièce. En vain. Le ressentiment et la souffrance sont dansés, les paroles scandent le corps ; la peur gît dans les mains qui s’accrochent et tordent le tissu, immense panneau blanc dont elle s’empare, s’enveloppe ; parfois suspendue tel un papillon à cette matière quelle tend avec toute la force de son corps et de sa voix. On craignait quelque effet décoratif fâcheux, mais la subtilité de jeu entre le corps et ce drapé sert efficacement la modernité de la pièce sans la trahir, au contraire, et apporte une esthétique envoûtante.

Le travail sur les mots et la voix est remarquable. Tonalités et flux changent selon qu’elle est soumise ou révoltée, en méditation ou en extase : sombres et calmes, tragiques et posés, neutres ou hurlants, saccadés et rapides. M.-L. Crochant a une diction parfaite, sait accentuer la substance tragique de certains mots. Soudain des visions d’orage surgissent lorsqu’elle isole chaque syllabe dans son phrasé : ce procédé renforce la dénonciation contenue dans le texte. Des phrases défilent sans pause à perdre haleine comme pour échapper, entre autres, au désir puis à l’extase érotique de la Mère. Son visage concentre toutes les expressions ressenties par Suzanne. L’ensemble est très travaillé, même si une réserve s’impose dans l’utilisation parfois systématique de l’accentuation de certains mots ou syllabes. Mais si l’on sent quelque application dans son jeu, au détriment de l’intériorité, on est sûr que celle-ci viendra rapidement avec l’expérience !

C’est un spectacle qu’il faut voir, tant pour l’éloquence argumentative colorée d’un Diderot, que pour le choix et la conception de mise en scène.

La Religieuse

De Denis Diderot

Adaptation et mise en scène Anne Théron
Avec Marie-Laure Crochant
Assistant à la mise en scène Jacques Séchaud
Scénographie Barbara Kraft
Création sonore José Barinaga
Création Lumière Benoît Théron
Collaboration à la chorégraphie Sun Fang
Régie générale, plateau et lumière Alain Larue
Régie son Jean-Baptiste Droulers et Tania Volke

Du 6 au 24 mars 2012
Du mardi au samedi 20h30

Théâtre Sylvia Montfort, 106 rue Brancion 75015 PARIS
Réservations : 01 56 08 33 46/ www.lemonfort.fr
M° Porte de Vanves

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.