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Critique • « La Jeanne de Delteil » au Théâtre de l’Ouest Parisien

Mai 18, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « La Jeanne de Delteil » au Théâtre de l’Ouest Parisien

Critique de Dominika Waszkiewicz

« Un esprit d’amour et de piété » pour un moment de Grâce

Comment ne pas reconnaître, à la suite de Claudel, tout le sublime qu’illustre le merveilleux texte de Joseph Delteil ? Sa Jeanne d’Arc, publiée en 1925, est un exemple de fusion entre le sacré dans ce qu’il a de plus absolu et la vie dans ce qu’elle a de plus prosaïque. Il nous présente la pucelle comme un être profondément incarné et dont la force mystérieuse vient de son intime connexion au monde qui l’entoure. Elle est « appétit, appétence, désir ! », et sa nature angélique s’imbrique étroitement dans son indéniable sensualité. C’est le corps et l’âme réconciliés, « de l’humain à l’état pur ».

Au-delà des clichés reflétant l’idée conformiste d’une identité nationale, Christian Schiaretti habite avec succès et liberté cette fulgurante vision delteilienne. Le monologue commence par la naissance de l’héroïne : au milieu du décor conçu d’un bric-à-brac de coulisses ou de dessous avec herses, fils mais aussi placards à balais et serpillères, Juliette Rizoud sort une bouteille de white spirit. La petite Jeanne est née ! Grâce aux gestes tendrement maternels de la jeune comédienne qui berce le produit inflammable, nous sentons presque cette chaude odeur de lait que nous relate la narratrice. C’est le miracle de l’incarnation ! S’ensuivent les épisodes attendus de la célèbre légende : la rencontre avec les Saintes Catherine et Marguerite (qui s’empiffre de mirabelles), la reconnaissance du Dauphin à Chinon, la prise d’Orléans ou encore le procès mené par Cauchon. À chaque nouvel épisode, historique ou inventé, les objets prennent vie : un tabouret renversé figure le roi, les retraites qui l’entourent sont ses courtisans, une table devient un cheval, un balai, un arbre. Avec une gourmande sympathie, nous entrons dans le monde de Jeanne. Un monde de rêves et de fantasmes explicitement sensuels, lorsqu’elle songe avec désir à Charles VII. Mais aussi, un monde de mort et de souffrance quand les flammes viennent dévorer sa chemise et dévoiler à la foule avide sa nudité de vierge.

Une pièce conçue dans la spontanéité du geste théâtral

À la fois personnages et narratrice, Juliette Rizoud nous entraîne avec un enthousiasme jubilatoire et une présence physique remarquable dans un théâtre de l’objet dont la simplicité nous touche immédiatement. La voie du sacré et de la transcendance trouve son expression dans l’immanence de la scène : le moment présent se pare d’une Grâce divine intemporelle.

Ainsi, avec la perpétuelle illusion de l’improvisation et de l’instantané, Schiaretti déploie toute son ingéniosité dans une mise en scène d’une rare précision. Certains détails paraissent appartenir au domaine de l’imprévu ou de l’incident, comme lorsqu’une ampoule explose pendant le siège d’Orléans ou encore quand le feu semble réellement prendre sur le bûcher miniature monté en avant-scène. Mais, tout est sous contrôle et les conventions théâtrales viennent naturellement prendre le relais des mots de Delteil pour abolir les frontières. Il n’y a plus de temps : le passé et le présent s’enchâssent. Il n’y a plus de scène : c’est la vie qui palpite sous nos yeux et, en nous.

La fougue de Juliette Rizoud est toujours juste ; l’interprétation, jamais outrancière. Pourtant, elle ne lésine guère et son jeu direct et franc nous emporte et nous émeut, profondément. Une sacrée comédienne, à ne pas perdre de vue !

Entre La Jeanne de Delteil et la Jeanne de Schiaretti, le choix est fait : c’est bien notre Jeanne que nous avons retrouvée.

La Jeanne de Delteil
D’après Jeanne d’Arc
Texte de Joseph Delteil
Adaptation de Jean-Pierre Jourdain et Camille Grandville
Mise en scène et scénographie de Christian Schiaretti
Avec Juliette Rizoud
Assistante à la mise en scène Clémentine Verdier
Collaboratrice Clara Simpson
Assistant à la scénographie Samuel Poncet
Costumes Thibaut Welchlin
Lumières Julia Grand

Du 15 mai au 16 mai 2012 à l’occasion du festival « Seules en scène » à 20h30

Théâtre de l’Ouest Parisien
1 place Bernard Palissy – 92100 Boulogne-Billancourt
Métro : Boulogne-Pont de Saint-Cloud
Réservation  01 46 03 60 44
www.top-bb.fr
Dates à venir
Le 31 mai 2012 : Verdun
Le 4 juin 2012 : Commercy
Les 7 et 8 juin 2012 : Bar-le-Duc
Les 15 et 16 juillet 2012 : Festival Valréas

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