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Critique • « Ce que j’appelle oubli » de Laurent Mauvignierin au Studio-Théâtre

Avr 16, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « Ce que j’appelle oubli » de Laurent Mauvignierin au Studio-Théâtre

Critique de Jean-Christophe Carius

Rubrique des «  humains écrasés »

Un homme est mort dans un supermarché à Lyon, en 2009. Il avait volé une canette de bière et des vigiles mal lunés l’ont roué de coups ayant entraîné la mort, à priori sans intention de la donner. Un fait divers macabre qui s’est ponctuellement imprimé sur les écrans radars de nos actualités, banalisé depuis lors par le feuilleton quasi quotidien de la terrible rubrique des « humains écrasés ». Le recensement des mille et une façons insensées de mourir en société qui provoquent dans l’opinion, pendant quelques minutes ou pendant quelques jours, l’indignation et l’envie de tout changer. Laurent Mauvignier a créé une reconstitution librement inspirée de cet énième épisode révoltant. Il a autopsié l’événement par la force de son imagination et extrapolé sa dimension humaine, jusqu’à en tirer un conte moral sur l’état de conscience qui règne au sein de nos sociétés moderno-occidentales.

Dans une interpellation fraternelle et intense, l’auteur compose avec une écriture précise, évocatrice et pénétrante, des visions en prise directe avec les représentations mentales de ses contemporains. Il décrit d’un trait, non seulement la matérialité des choses, mais aussi les fines pellicules d’interprétation sociale qui les enveloppent, à notre insu. Son regard éclaire d’une lumière crue les faits et gestes, et le monologue intérieur qui enrobe les perceptions telles qu’elles se fixent dans le for intérieur. Il portraiture l’entremêlement serré de l’objectivité des événements et de la subjectivité des jugements, des jugements qui imprègnent tout et possèdent la marque particulière de la mentalité d’une époque. Ils constituent notre mode de représentation du monde, une puissance intériorisée, à la fois intime et partagée par tous, qui nous influence plus encore peut-être que le réel.

Une interprétation vocale époustouflante

« Ce que j’appelle oubli », publié en 2011, est né, selon l’auteur, sous les auspices littéraires et dramaturgiques de Thomas Bernhard et de “La Nuit avant les forêts” de Bernard-Marie Koltès. Denis Podalydès, comédien et metteur en scène, avait déjà adapté pour la scène “Dans la foule” de Laurent Mauvignier, dans le cadre d’un atelier avec les élèves du Conservatoire National d’Art Dramatique, et en avait tiré un bouleversant ensemble choral, gestuel et visuel. Il aborde la mise en espace de “Ce que j’appelle oubli” avec un parti pris presque diamétralement opposé. Seul sur scène, sans costume particulier, les pieds nus, le corps mobilisé et positionné afin de permettre la maîtrise des résonateurs et l’expressivité de la voix, le comédien nous donne, par son travail remarquable d’incarnation du texte, à percevoir littéralement le récit vivant de cette fable triviale et pathétique.

Denis Podalydès est un homme de théâtre admiratif de la voix humaine. Il a amplement conté cette passion dans son livre-disque “Voix off”, publié en 2008 et il établit presque exclusivement l’interprétation de cette pièce sur sa connaissance approfondie de l’expression vocale. Par la diversité et la précision de ses intonations, de ses phrasés, de ses respirations et de toutes les voix en présence, auteur, personnages, lecteur, il parvient à imiter vocalement, non pas les accents des personnalités, mais la sonorité des idées, la tessiture des réflexions, l’inflexion des prises de conscience… Une performance vocale abstraite et sensible qui captive dès la première seconde un public qui se retrouve à la fois auditoire ravi, l’ouïe baignée dans une histoire poignante et édifiante, et spectateur fasciné, l’œil rivé sur le spectacle du travail de création à vue qui se déroule devant lui.

Au final, l’estocade est au rendez-vous, magnifiée par Stéphanie Daniel, qui met en lumière subtilement l’ensemble du spectacle et accompagne par un effet magistral la conclusion de ce moment de vérité, libérant le spectateur ébahi dans un état de félicité consciente.

Ce que j’appelle oubli

De Laurent Mauvignier

Mis en espace et interprété par Denis Podalydès

Avec la complicité de Stéphanie Daniel à la lumière

Du 12 au 22 avril 2012 à 20h30

Studio-Théâtre

Galerie du Carrousel du Louvre

99 rue de Rivoli – 75001 Paris

Réservation : 01 44 58 98 58 du mercredi au dimanche de 14h à 17h

http://www.comedie-francaise.fr

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