Critiques // Critique • « AMÉDÉE » texte et mise en scène de Côme de Bellescize au Théâtre de la Tempête

Critique • « AMÉDÉE » texte et mise en scène de Côme de Bellescize au Théâtre de la Tempête

Mai 10, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « AMÉDÉE » texte et mise en scène de Côme de Bellescize au Théâtre de la Tempête

Critique de Rachelle Dhéry

Amédée est un jeune comme les autres, qui a des rêves, des amis, une petite amie, qui aime les jeux vidéo, les courses de voiture et qui a toute la vie devant lui. Sauf qu’à vingt ans, il est victime d’un accident de voiture. Une bulle sur ses lèvres émeut le pompier qui le sauvera : c’est l’écrin d’une vie qui risque de s’évanouir. Sorti neuf mois plus tard du coma entièrement paralysé, il combat pour renaître dans ce corps, où seul son pouce lui permet de communiquer avec les autres. Clov, alter ego imaginaire qu’il se crée, lui permet d’éviter l’isolement, l’encourage à se battre, à combattre, à aimer, mais aussi à renoncer… Sa mère qui aura tout sacrifié pour lui, jusqu’à s’installer près de lui dans sa chambre d’hôpital, ses amis l’accompagnent avec leurs faiblesses et leur courage. Et quand Amédée demande à mourir parce qu’il n’en peut plus, parce qu’il ne peut plus aimer, parce qu’il ne supporte plus d’être un boulet prisonnier de son corps et un poids financier extrêmement lourd à porter pour son entourage et la société, c’est toute la machine infernale politique et médiatique autour de ce débat-tabou : l’euthanasie, qui se met en marche.

Côme de Bellescize, jeune auteur et metteur en scène très prometteur, s’est ici librement inspiré d’un fait divers qui avait provoqué un grand émoi dans l’opinion et suscité une vive polémique : en 2003, un jeune garçon tétraplégique avait été euthanasié par sa mère. Mais le débat autour de l’euthanasie ne s’arrête pas là. C’est un sujet tabou de société, y compris la nôtre, que nous n’avons pas encore fini de soigneusement éviter. Cette pièce ne prétend pas apporter de solution, mais juste un regard, un questionnement sur les causes et conséquences, l’avant et l’après, enfin, tout le cheminement qui peut conduire une mère à mettre fin à la vie de son enfant. En sortant, le débat se poursuit et c’est bien ainsi. Car, qui mieux que le théâtre peut nous forcer à nous questionner ? La force du théâtre est aussi d’être un reflet de notre société, de ses enjeux, dérives et interrogations. Nous devenons, comme chez Augusto Boal, des spect’acteurs du drame, où observation, analyse et interrogation se côtoient de près.

En dehors de la thématique même, risquée et audacieuse à la fois, le spectacle est un vrai petit bijou : tout d’abord, ce texte, même d’un quotidien parfois grossier, sans jamais être vulgaire, est très bien écrit. Avec beaucoup d’humour, nous traversons la tragédie, le sourire aux lèvres. Ensuite, la mise en scène et la scénographie sont juste parfaites. Loin d’apprécier les effets en cascade au théâtre, ils ont ici une présence réconfortante et vitale pour le spectateur. Un voile blanc est tendu tout au long de la scène, au fond, soutenu par un fil rouge, comme un électrocardiogramme plat, affrontant sans détours, l’électrocardiogramme de vie apparaissant sur les quatre écrans suspendus en haut. Les blocs blancs se déplacent dans une chorégraphie minutieuse et fluide, tout comme le bloc blanc transparent qui représente tour à tour, la chambre d’Amédée ou son subconscient, où d’ailleurs, apparaît Clov, l’ami imaginaire d’Amédée. Au début, même, on pense à la NDE (Near Death Expérience). Comme une succession de tableaux ou comme plusieurs écrans se succédant, les changements de lieux sont parfaitement visibles et maitrisés. De fumée en brancard, du mannequin représentant le corps inerte d’Amédée au bain quotidien donné par sa mère, tout renvoie à la réalité. Pourtant, lorsque les visions s’enchainent, que le virtuel remplace le réel, que les regards se tournent au loin ou lorsqu’une pluie de bulles inonde la scène, c’est tout un monde onirique qui s’offre à nous. Oui, ils ont osé : faire rire du pire, nous donner à rêver si proche de la mort, profiter des « clichés » pour nous sortir du drame épouvantable qui est en marche… Ils ont osé !

Et ils ont bien fait. Et pour servir une telle pièce, il fallait des comédiens de talent. Qu’ils se rassurent, ils sont tous magnifiques et bouleversants. C’est d’ailleurs rare de voir une telle homogénéité. Frais, drôles, captivants, ils offrent un moment inoubliable. Longue vie à ce spectacle !

« J’ai le moral au fond des bottes »

« Y a ni vivant ni survivant sous la pluie seulement des Maccabées mouillés »

« Ca m’a secoué ces bulles. Il doit y avoir une force dans ce petit que je peux pas expliquer »

« Je voudrais te remettre dans mon ventre pour que tu te reconstruises cellule après cellule. »

« Je ne suis pas mort ? Non. Merde. »

« Le père est pas venu. La petite amie non plus »

« Il faudrait rendre la souffrance hors-la-loi »

« On ne peut pas avoir tort de refuser de souffrir »

« Crois-moi, on meurt pas par gaieté de cœur »

AMÉDÉE
Texte et mise en scène de Côme de Bellescize
Avec Eric Challier, Maury Deschamps, Eléonore Joncquez, Vincent Joncquez, Teddy Melis et Benjamin Wangermée
Scénographie de Sigolène de Chassy
Lumières de Thomas Costerg
Son de Lucas Lelièvre
Musiques originales de Yannick Paget
Costumes de Colombe Lauriot-Prévost
Vidéos de Ishrann Silgidjian
Assistanat à la mise en scène de Tanguy Dorléans

Du 4 mai au 2 juin
Du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h30

Théâtre de la Tempête
Route du Champ de Manœuvre – 75012 Paris
Réservation : 01 43 28 36 36
Métro Château-de-Vincennes. Puis prendre la navette Cartoucherie garée près de la station de taxis (départ toutes les quinze minutes environ, premier voyage 1 h avant le début du spectacle) 
• ou le bus 112, arrêt Cartoucherie.
Réservation : 01 43 28 36 36
www.la-tempete.fr

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