Critiques // Critique • « Nietzsche, Zarathoustra et autres textes » de Laurence Mayor à la Maison de la Poésie

Critique • « Nietzsche, Zarathoustra et autres textes » de Laurence Mayor à la Maison de la Poésie

Mar 11, 2012 | Aucun commentaire sur Critique • « Nietzsche, Zarathoustra et autres textes » de Laurence Mayor à la Maison de la Poésie

Critique de Pauline Decobert

L’impossible impensable au théâtre?

Laurence Mayor nous propose de « mettre à l’épreuve de la scène » certains textes de Nietzsche, et de nous faire sentir, voir, éprouver ces « énergies » décapantes. Seule. C’est un projet à la fois fou et magnifique parce qu’impossible. Mais l’impossible est difficile d’accès

©Philippe Ulysse

Joie d’un instant.

Si la lecture que fait Laurence Mayor de Zarathoustra est intelligente et sa traduction excellente, une incompréhension (attendue) des spectateurs est non-évité et inévitable. Les textes choisis par la comédienne pourraient effectivement apporter des résonnances nouvelles à la lecture de l’œuvre de Nietzsche. Mais il manque quelque chose à ce spectacle, c’est cette vie bouillonnante que la comédienne a bien su voir elle-même dans cette œuvre difficile. Son corps, tantôt recroquevillé dans un coin de la scène, tantôt caché derrière cette même scène, semble s’écraser littéralement sous le poids des mots (lors d’un extrait nommé « De l’esprit de pesanteur », le malaise s’installe), la présence de Laurence Mayor est comme étouffée (on a pourtant pu la voir autrement dans les mises en scène de Françon ou de Novarina). On ne comprend pas le parti pris par la comédienne de fixer le sol, le plafond ou l’éclairage. Elle a choisi de montrer la langue de Nietzsche comme étant celle du peuple (c’est ainsi que l’auteur qualifie lui-même sa langue, du moins parfois). Ce choix, excellent et discutable, prend toute sa force et une telle envergure dans ce moment fugace où la comédienne s’approche de son public et lui adresse sa parole! Enfin ! Quel moment de grâce lorsque l’on croise son regard et que soudainement le texte surgit! Comme il parait limpide sans pour autant perdre de sa densité! C’est cette simplicité, que la comédienne ne nous offre que quelques minutes, qui à elle seule nous permet d’éprouver viscéralement le texte de Nietzsche. Ce moment, bien que court, nous laisse deviner que ce spectacle impossible aurait pu être, en chair. Malheureusement, la suite nous parait d’autant plus fade. La mise en scène est redondante (on montre son pied lorsqu’on en parle, ce qui n’apporte qu’un jeu presque illustratif), Laurence Mayor recommence encore et encore à déclamer bras tendus et tête secouée sur un ton répétitif. Le contact est perdu, on ne voit plus rien. Lorsque Laurence Mayor tente de chanter le texte, ses essais sont hélas avortés. Le costume de Chen. Chen Yin est dans cette veine tristement illustrative, un trench beige évoque le jour et une robe de soirée d’un bleu nuit presque disco (avec la lumière bleue qui lui sied, le tout dans une ambiance sombre) est sensée nous aider à nous plonger dans la mi -nuit. En bref, ce spectacle de Laurence Mayor n’est ni mauvais ni décevant (à quoi pouvait-on s’attendre?) mais il est frustrant. Brisée par ces codes maladroits, Laurence Mayor ne nous laisse entrevoir la puissance « revigorante » de Zarathoustra (ce terme d’une grande justesse est celui de la comédienne) que le temps d’un éclair. Si la pensée de Nietzsche doit frapper comme la foudre (ou comme un marteau), ne s’agit-il pas plutôt de s’emparer de l’intensité de celle-ci que de sa fugacité?… Peut-être pas. Peut-être qu’on peut vouloir saisir Nietzsche comme une exception, un instant fulgurant. Dans ce cas, ce spectacle n’aurait dû durer que le temps de ces quelques précieuses minutes. L’admiration que l’on peut déceler pendant tout le reste de ce spectacle est sans doute la plus grande barrière qui se dresse devant Laurence Mayor. Nietzsche n’est-il pas quelqu’un à qui il faut savoir manquer de respect ?

Nietzsche, Zarathoustra et autres textes

Conception et jeu : Laurence Mayor
Lumières : Philippe Ulysse

Du 8 mars au 1er avril
Du mercredi au samedi à 20h00 – dimanche 16h00

Maison de la Poésie
157, rue Saint-Martin 75003
Métro Rambuteau – RER Les Halles
Réservation : 01 44 54 53 00

www.maisondelapoesieparis.com

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