Critique Dashiell Donello

©DR

La fable d’un enfant abandonné

Un village comme il y en a tant dans le sud de la France. Avec des gens d’ici. Des vrais. Ceux des communautés territoires. Pour quelqu’un qui n’est pas d’ici c’est difficile à comprendre. Même si cela fait dix ans qu’il vit ici. On peut lui dire : « T’es pas d’ici ». C’est ordinaire de dire ces choses-là. Comme est ordinaire la vie engluée d’ennui. C’est l’été, il fait chaud. Alors on cause. Les mots volent de rue en maison, de bouche en bouche, de soupçon en accusation. La rumeur est complète lorsqu’un nouveau-né apparaît devant la grille d’une ferme. On va faire chou gras. C’est l’idiote du village qui l’a trouvé. Drôle que tu saches y faire toi. Oui, elle sait y faire. Revenu revenu Petit revenu. Oui, il est revenu…

Carole Thibaut nous fait, en cette rentrée d’automne 2012, le plus beau cadeau qui soit : une grande pièce de théâtre, une histoire qui sent la terre, la sueur et le sang, un conte sans sorcière, ni loup, ni château, mais avec un enfant abandonné. La fée c’est elle-même. Voici le premier coup de baguette magique d’un projet d’ensemble intitulé « Les communautés territoires » qui a pris naissance lors d’une résidence d’écriture dans un village médiéval de l’Isère.

L’épisode Sodome et Gomorrhe est à la source d’un questionnement de Carole Thibaut : « Comment naît l’inhumain, selon quel imperceptible dévoiement des règles ? Telle serait la question qui se pose face aux communautés, souvent repliées sur elles-mêmes, qui occupent ces territoires, aussi différents soient-ils : île, cité en banlieue, village… Toutes ont leurs codes, rites, histoires ; toutes peuvent se comparer dans la déviance et la sclérose qu’elles risquent d’engendrer (…) L’histoire s’inspire de l’épisode de Sodome dans la Bible : le châtiment y sanctionne le manquement aux lois d’accueil de l’étranger. L’Enfant, œuvre de fiction, prend sa source dans le réel mais y retourne en se faisant parabole sur ce qui constitue, pour tout ensemble humain, une menace permanente, une menace de l’intérieur ».

Carole Thibaut est une femme de théâtre intègre dans sa recherche théâtrale. Elle fouille, comme fouillerait un archéologue dans le présent et l’avenir immédiat, pour trouver les secrets trop humains des pays où les dédales conduisent parfois au drame de l’autodafé. Sa mise en scène est un site où chuchotent les noirs mystérieux, les rideaux voyageurs, et les phosphorescences d’une voute étoilée de repères de machinerie. L’invisible nous dévoile le visible par une troupe remarquable représentée par Thierry Bosc, Sophie Daull et Emmanuelle Grangé pour ne citer qu’eux. Le théâtre de Carole Thibaut est populaire dans le bon sens du terme et donne le frisson du plaisir partagé.  De longs rappels ont fêté une grande dramaturge contemporaine et nous étions heureux de l’applaudir.

L’enfant, drame rural (Édité chez Lansman)

Texte et mise en scène Carole Thibaut
Avec Marion Barché, Thierry Bosc, Eddie Chignara, Sophie Daull, Emmanuelle Grangé, Donatien Guillot, Fanny Santer, Boris Terral
Création technique Carole Thibaut et le collectif InVivo : Chloé Dumas, Julien Dubuc, Samuel Sérandour
Costumes Magalie Pichard
Dramaturgie Mariette Navarro

26 SEPTEMBRE / 27 OCTOBRE 2012

Au Théâtre de la Tempête – salle Copi
Du mardi au samedi 20h30, dimanche 16h30
Cartoucherie – Route Du Champ De Manœuvre – 75012 Paris 12^ème
Métro Château de Vincennes
Tél. 0143283636
www.la-tempete.fr
Texte écrit en résidence à « Textes en l’air » (Isère) avec le soutien du Centre National du Livre

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