Critiques // Critique . « Artaud-Barrault » Conception et mise en scène de Denis Guénoun. Théâtre National de Chaillot.

Critique . « Artaud-Barrault » Conception et mise en scène de Denis Guénoun. Théâtre National de Chaillot.

Oct 05, 2012 | Aucun commentaire sur Critique . « Artaud-Barrault » Conception et mise en scène de Denis Guénoun. Théâtre National de Chaillot.

Critique de Djalila Dechache

Quelle bonne et merveilleuse idée d’avoir programmé la reprise de ce spectacle, de ce rendez-vous vivant avec deux grands du théâtre !

Créé en 2010 dans le cadre du centenaire de Jean-Louis Barrault, la représentation est composée de deux parties .La première de 26 mn avec un film de montage d’archives rares et éblouissantes issues de l’INA et des Grands Films Classiques « Jean-Louis Barrault, une vie sur scène » réalisé par Marie Deroudille où l’on voit Jean-Louis Barrault en grande forme déclarer que « mon métier est de chercher l’homme à travers son œuvre, la vie humaine m’intéresse » et de nous narrer sa relation pleine d’émotions partagées à Claudel dont il a monté plusieurs de ses pièces.

Ce qui retient aussi dans ce bel hommage, c’est de voir Jean-Louis Barrault monter sur une échelle afin de commenter une affiche perchée tout en haut de son bureau dont il dit que c’est l’exemple même du théâtre de l’alternance .En effet, il programmait alors aussi bien Genêt, Shakespeare, que Beckett, Claudel, Marivaux en y ajoutant un concert de Boulez et une rencontre avec Louis Aragon et Elsa Triolet.

Monologue épistolaire, dialogue entre deux âmes sensibles et fortes

Denis Guénoun, le metteur en scène, homme affable, prend la parole pour évoquer sa démarche. Pour ce travail, il a pris appui sur les dix lettres d’Artaud envoyées à Barrault correspondant à trois périodes de 1930 à 1945, dans lesquelles il a inséré des souvenirs de Barrault pour tisser l’amitié entre les deux hommes.

Tout commence, lors de la saison 1934/1935 au moment où Barrault met en scène un texte de William Faulkner « Tandis que j’agonise » traduit par « Autour d’une mère » qui renferme selon lui « les idées et les sensations sur le théâtre ». L’épisode de sa recherche, en répétition, sur le cheval du personnage principal est remarquable et vaut tous les cours de théâtre. Lors de la première, accueillie en triomphe, Artaud ressent un sentiment d’exaltation. Et c’est le début de leur amitié, riche d’enseignements, de rebondissements et de séparations.

« Après Dullin, après Decroux c’est Artaud qui m’a le plus frappé (……) il est royalement beau, d’une aristocratie fondamentale » dit Barrault et plus loin « Il n’arrêtait pas de se quitter » sous l’effet des drogues.

Et Artaud de dire que « (…) Le cheval-centaure, c’est un spectacle magique, il a une force secrète qui gagne le public comme le grand amour….c’est cela le théâtre, ce que fait Barrault en a fait (…) il  a perception d’œil de mouche qui capte tout » où l’on retrouve des fragments de son œuvre « Le Théâtre et son double ».

Barrault mène alors la carrière que l’on sait en parallèle avec le cinéma: Comédie-Française, création de la compagnie Renaud-Barrault au Théâtre Marigny, l’Odéon, le Théâtre d’Orsay puis le Rond-Point

Quand Barrault monte « Les Paravents » de Genêt en 1966, la pièce fait scandale, trop proche de la fin de la guerre d’Algérie. Il persiste, signe et défend la pièce par « La misère, quand il n’y a plus rien à faire, a recours au mal ».

Un Artaud bondissant et incarné

Par un subtil jeu de direction et de jeu d’acteur, la représentation joue entre la lecture du début de chaque lettre et s’en détache pour évoluer vers une manifestation personnelle du personnage d’Artaud.

Il y a bien sûr cette montée crescendo du personnage, qui se dit envouté, « parti au Mexique pour recouvrer la santé grâce aux cérémonies magiques et la danse du Peyotl » variantentre des réactions saugrenues de pose et de voix aigrelette aux tirades cinglantes comme lors de ce dîner chez des donateurs – la subvention n’existait pas alors – jusqu’aux crises de lucidité intense et de souffrance aigües.

Malgré les exaltations enfiévrées il savait garder un peu de lucidité comme en 1943 où il est interné à Rodez « Ce monde est horriblement pesant » en rappelant que « la poésie se dit comme une prière à l’Eternel, comme un effort de participation magique ». C’est lui le crucifié et c’est lui qui a tout compris. C’est peut-être aussi parce qu’il a tout compris qu’il est crucifié.

C’est en cela que Stanislas Roquette est remarquable même si parfois il en fait trop. Il est plus juste quand il ne nous donne pas un Artaud vociférant, notamment lorsqu’il interpelle Barrault par un « Mon bien cher ami (…) je n’en peux plus des distances qui nous séparent et de ne plus voir ceux qui me sont chers (…) je n’en peux plus de cet éternel débat avec moi-même, il faut que je vive moi aussi ».Même si on sait qu’Artaud est brisé, cela s’entend et se sent par la voix calme du comédien et son visage incliné. C’est bouleversant, cela sonne juste, c’est poétiquement beau. « Vivre c’est se surmonter soi-même, c’est se tenir au dessus de nous-mêmes ». (Lettre de Rodez, février 1944, Artaud est enfermé depuis 6 ans et demi).

La représentation se termine avec une déclaration d’amour de Barrault à Artaud, on entend son phrasé, sa diction, la richesse de son intention dans la voix :

« Il avait un front extraordinaire qu’il portait en avant pour illuminer sa route. Son nez mince et pincé frémissait constamment. Artaud était un prince, chacun de nous était enfermé en lui-même, nous sommes une population, tout un monde au fond d’un puits. Avec lui ce fut la métaphysique du théâtre qui m’entre dans la peau. Dans notre âme, le feu et le rire faisaient bon ménage. Lui c’est un destin de crucifié et moi j’avais le désir de remplir mon propre destin. Nous voulions transporter notre vie dans le théâtre, une vie qui ne trichait pas. La difficulté c’est de respecter les autres tout en étant en accord avec soi-même ».

Artaud-Barrault
Lettres et souvenirs croisés entre Antonin Artaud et Jean-Louis Barrault
Conception, mise en scène : Denis Guénoun
Avec : Stanislas Roquette
Assistant : Alexis Leprince
Lumières : Geneviève Soubirou
Précédé d’un montage d’images « Jean Louis Barrault, une vie sur Scène » (26 min)
De Marie Deroudille
Du 3 au 13 octobre 2012 – Du Mardi à samedi 19h
Relâche dimanche et lundi
Durée 1h30
Théâtre National de Chaillot
1 Place du Trocadéro
75116 Paris
Métro Trocadéro
Réservation : 01 53 65 30 00

www.theatre-chaillot.fr

www.artepo.fr

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