Critiques // Critique ・ « Todo el cielo sobre la tierra » texte et mise en scène d’Angelica Liddell à l’Odéon

Critique ・ « Todo el cielo sobre la tierra » texte et mise en scène d’Angelica Liddell à l’Odéon

Nov 23, 2013 | Aucun commentaire sur Critique ・ « Todo el cielo sobre la tierra » texte et mise en scène d’Angelica Liddell à l’Odéon

ƒ Critique Suzanne Teïbi

 wendy_7229

©DR

Danser autour des morts

Au milieu du plateau, un tas de terre. Il symbolise la tombe des 69 jeunes Norvégiens tués l’été 2011 sur l’île d’Utoya par le terroriste d’extrême-droite Anders Breivik. « Tout le ciel au-dessus de la terre » s’articule en trois parties : une première partiechorale, évolue autour du personnage de Wendy ; une seconde partie dansée, où le spectateur assiste à un bal et suit un vieux couple de Chinois qui danse valse après valse ; enfin un long monologue porté par Angélica Liddell.

Dans un premier temps, tout se passe autour de la tombe et des morts. Après s’être masturbée longuement sur cette tombe, sur une lecture d’un poème de William Wordsworth, Angélica Liddell rêve qu’elle s’entretient avec une jeune femme assassinée sur Utoya. Ce dialogue entre les vivants et les morts donne tout son sens au poème de Wordsworth : « Même si cet éclat jadis si lumineux / Se trouve à tout jamais dérobé à mes yeux / Même si rien ne peut ressusciter cette heure / Et de splendeur dans l’herbe et de gloire en la fleur / Puisons nos forces, sans un pleur / Dans ce qui du passé demeure ».

Puis Liddell convoque le personnage de Wendy sur le plateau. Quelques jours après la tuerie d’Utoya, Wendy part à Shangaï, où elle rencontre son grand amour Peter. Si la psychanalyse parle du syndrome de Peter Pan – le sujet, en ayant des comportements d’adolescent, retarde son entrée dans la vie d’adulte – le syndrome de Wendy serait un comportement selon lequel les femmes surprotègeraient, déresponsabiliseraient, voire étoufferaient leur partenaire, par peur de l’abandon. Notre Wendy et notre Peter se débattent ici avec ces questions, entrecoupées par le poème, qui ne cesse de passer en voix off. On pénètre alors dans la deuxième partie du spectacle – une succession de valses – et avec celle-ci commence un entremêlement complexe entre fiction et réalité, rites, et performance. Car c’est au gré de voyages et de déambulations à Shangaï qu’Angélica Liddell est tombée sur des couples de vieux dansant continuellement sur la place Nanjing Lu. Fascinée par ceux-ci, elle leur a demandé de la suivre en Europe pour danser dans son spectacle. Elle a également fait appel à Cho Young Wuk, un célèbre compositeur sud-coréen pour composer les valses du spectacle interprétées par un orchestre qui joue derrière le tas de terre. Ce long moment de valses, qui prend le temps de s’étirer, colore le spectacle d’une étrange sérénité, et la metteuse en scène transforme alors les spectateurs de théâtre en spectateurs d’un bal étrange : le vieux duo de danseurs, dansant autour de l’île et des morts, sont parfois rejoints par tous les personnages – Angélica et Wendy (qui agissent en miroir, l’une semblant être le double de l’autre), Peter, l’homme à la tête d’animal brodé et poilu, la jeune travailliste d’Utoya, une jeune chinoise en habit traditionnel.

Le syndrome de Wendy

Quelque chose de très beau se dégage des tableaux de groupe, mais le projet, dont le point de départ semblait être la tuerie d’Utoya, s’en éloigne de plus en plus. Après la valse arrive l’ultime partie du spectacle, le très long monologue d’Angélica Liddell, au sein duquel, tout en dansant un flamenco revisité, elle nous livre une performance dont le point de départ est son inadaptation au monde et à l’autre. Le propos dérive rapidement sur le rapport destructeur mère/fille et l’insupportable position dans laquelle se placerait la mère, qui, de par son statut de mère, se sentirait dotée d’un « supplément de dignité », que la performeuse met directement en cause dans les souffrances des enfants, et notamment dans leur possible inadaptation au monde. Ce monologue ne manque pas de résonner avec le reste du spectacle, établissant des ponts entre le syndrome de la Wendy du spectacle et le syndrome de Wendy appliqué au rapport mère/fille.

Angélica Liddell est hantée par les morts d’Utoya, mais elle explique être habitée par eux dans le sens où elle éprouve un désir sexuel pour ces jeunes morts. Ce mal-être ressassé et ressassé encore, et le rapport aux autres réduit au seul désir, et donc à soi, font de cette performance physiquement très investie un moment qui rend considérablement la tuerie d’Utoya égotique, psychologique et anecdotique. Avec la même énergie, Angélica Liddell, furieusement et malheureusement, désamorce alors l’extrême tension qu’elle avait su déployer dans les deux premières parties du spectacle.

Todo el cielo sobre la tierra (Tout le ciel au-dessus de la terre) 
Spectacle en espagnol, mandarin, norvégien surtitré
Texte et mise en scène : Angelica Liddell
Musique : Cho Young Wuk
Scénographie et costumes : Angélica Liddell
Collaboration à la musique, orchestration : Hong Dae Sung, Jung Hyung Soo, Sok Seung Hui, Lee Ji Yeon
Lumière : Carlos Marquerie
Son : Antonio Navarro
Avec : Xue Ying Dong Wu, Xie Guinü, Fabiàn Augusto Gomez Bohorquez, Lola Jiménez, Jenny Kaatz, Angélica Liddell, Sindo Puche, Maxime Trousset, Zhang Qiwen, Saite Ye, ensemble musical PHAC E

Jusqu’ au 15 décembre 2013
Du mardi au samedi à 20h, dimanche à 15h

Odéon – Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon – 75006 Paris
Métro Odéon
Réservation : 01 44 85 40 40
http://www.theatre-odeon.eu/fr

 

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.