Critiques // Critique ・ « Rabah Robert » texte et mise en scène de Lazare, au T2G

Critique ・ « Rabah Robert » texte et mise en scène de Lazare, au T2G

Fév 01, 2014 | Aucun commentaire sur Critique ・ « Rabah Robert » texte et mise en scène de Lazare, au T2G

ƒƒ Critique Suzanne Teïbi

Christian Berthelot

Convoquer les morts, convoquer l’Histoire

Avec Rabah Robert Touche ailleurs que là où tu es né, Lazare clôt le triptyque entamé avec Passé – je ne sais où qui revient, et Au pied du mur sans porte.

Il remet au travail le schéma familial des deux autres pièces, empreintes d’une grande dimension autobiographique, et donne à nouveau la parole aux personnages récurrents : son double, Libellule, sa mère, ses sœurs. Une famille sans cesse remuée par l’absence du défunt père.

Ainsi, le mort, et le mystère qui l’entoure pour ses enfants, laisse un espace au monde vacant, un trou béant dans lequel les présents projettent à l’infini fantasmes et reconstruction du réel. Si le théâtre est un territoire qui permet la rencontre des vivants et des morts, Lazare convoque physiquement le père sur le plateau.  Dans une construction mentale de la famille orpheline, le père rejoue ici son histoire – la petite – qui vient se mêler à la grande Histoire, foulée par la guerre d’Algérie.

Dans les différents volets du triptyque, et avec sa fidèle équipe de comédiens, Lazare éclaire des endroits singuliers du récit familial, fait évoluer ses personnages, réinvente leurs mythes. Ici, tout s’organise autour des obsessions de chacun : la mère, qui n’a pourtant jamais appris à peindre, est obsédée par la peinture au point de se lever la nuit pour prolonger son nouveau geste de création. Les trois enfants, quant à eux, sont sans cesse obsédés par leur père. Alors que les deux sœurs, en miroir, ressassent leur rôle avorté de fille,  Libellule décide de partir à la recherche de l’Histoire. Défiant le temps et l’espace, il lui suffit de le vouloir pour passer d’une époque à l’autre, et de la France à l’Algérie.

Sons et émotions

Tout a lieu dans un espace scénique sans cesse réorganisé, à l’image de la dramaturgie qui s’affranchit de toute volonté de compréhension rationnelle. C’est de ce chamboulement incessant que naît la logique interne du spectacle, patchwork de rêves, réalité, fantasmes, reconstruction par l’imaginaire pour venir en aide au réel : quand les éléments du réel sont perdus, oubliés, invérifiables, comment continue-t-on de vivre ?  Ici, c’est en les réinventant, le plus souvent en musique. Car le spectacle, dans un joyeux, émouvant, formidable instinct de vie, tisse la fable en musique. Sur le plateau, Benjamin Colin, musicien inventif, jongle avec les instruments les plus improbables : percussions, élastique insonorisé, machine à pluie. Il est accompagné par les  comédiens. Certains jouent des instruments, tous chantent. Au plateau, les neuf comédiens, sans cesse présents, s’activent en tous sens, recréent le décor, déplacent les cadres, les estrades, les panneaux de bois, les chaises. Tous participent à une grande et folle machinerie.

Le travail qu’opère Lazare sur la langue est singulier : langue qui se réinvente, qui met en chantier l’oralité et les images, qui porte les bouches des acteurs, qui a une incidence sur leurs corps, chantant, dansant, traversés par le langage.

Finalement, le spectateur est lui aussi traversé par une histoire qui le dépasse, dont il ne comprend pas tous les éléments. Il est désorienté souvent, mais cet univers riche et foisonnant agit en véritable déclencheur d’émotions. S’il veut faire, lui aussi, partie de ce voyage, il lui faudra cependant lâcher prise sur le réel.

 

Rabah Robert
Touche ailleurs que là où tu es né
Texte et mise en scène : Lazare
Scénographie, costumes, accessoires : Marguerite Bordat
Direction musicale : Benjamin Colin
Lumière : Vincent Gabriel
Chorégraphie, assistanat à la mise en scène : Marion Faure

Avec : Guillaume Allardi, Anne Baudoux, Benjamin Colin, Blanca Iannuzi, Julien Lacroix, Bénédicte Le Lamer, Mourad Musset, Giuseppe Molino, Yohann Pisiou

Jusqu’ au 15 février 2014
30 janvier, 4, 6, 11 et 13 février à 19h30
31 janvier, 1er, 5, 7, 8, 12, 14 et 15 février à 20h30
2 et 9 février à 15h

T2G
41, avenue des Grésillons – 92230 Gennevilliers
Métro Gabriel Péri
Réservations : 01 41 32 26 26
www.theatre2genevilliers.com

Le texte est publié aux Solitaires Intempestifs.

 

Be Sociable, Share!

Répondre

You must be Logged in to post comment.