Critique Dominika Waszkiewicz

© J.-L. Fernandez

Odyssées en Yvelines

Du 15 janvier au 30 mars, le Théâtre de Sartrouville et des Yvelines présente la 9^e édition de sa biennale odysséenne. Projet pluridisciplinaire offert aux enfants et aux adolescents, cette action culturelle reste une trame précieuse dans le tissu social départemental et les enjeux de proximité. Véritable lien entre les institutions et l’individu, elle se propose de faire vibrer, par le biais de six créations jeune public, notre subtil rapport au monde merveilleux de l’enfance.

«… il est grand temps de prendre le large… »

Qui ne connaît pas la grandiose épopée romanesque qu’Herman Melville fait paraître en 1851 ? Que ce soit le style précis et métaphorique du romancier ou les traits virils de Gregory Peck, nous avons tous une idée subjective de cette œuvre totale. Histoire universelle de l’homme face à l’incommensurable infini, lutte métaphysique du Bien et du Mal, obsession du double insaisissable traduit sous les traits du superbe cachalot blanc, Moby Dick est un mythe littéraire à part entière.

Et sur scène ? Comment transcrire ces pages sublimes en actes théâtraux ? Comment donner à voir le monde dans le sein de la baleine ? Où ranger les vagues et le vent ? Où déployer les voiles et les haubans ? Comment transposer l’horizon du grand large en un espace fini ?

C’est sur la demande de Matthieu Cruciani que Fabrice Melquiot soutient la gageure en nous offrant une pièce hybride, fusion de deux écritures, celle du romancier du XIXe siècle et celle, très actuelle et fluide, du dramaturge.

« C’est un homme qui dort dans un homme qui parle… »

La pièce se déploie au cœur d’une salle de cinéma piteusement surannée affichant, en lettres lumineuses, le nom du baleinier : le Pequod. Errant neurasthénique, Ismaël déambule entre les chaises bleues et décide de s’embarquer sous le joug du taciturne capitaine Achab. S’ensuit alors la tragique quête océanique, entre projections vidéo et chaos de chaises, entraînant tout l’équipage du Pequod dans le sillage de l’irrépressible et désespérée vengeance d’Achab. Au-delà du caractère cosmogonique et universel de l’œuvre, le spectacle nous rappelle la nécessité du théâtre, lieu privilégié à la gloire du verbe et le texte de Melquiot nous invite à goûter la tentation délectable de la mise en abyme.

Cependant, au milieu d’un plateau aux allures d’aquarium, les protagonistes semblent manquer d’air et s’époumonent en cris et en gesticulations pas toujours utiles et tristement illustratifs. Malgré le talent des comédiens, l’ensemble reste décevant de disharmonie et l’on ne peut que se poser la question de la légitimité de cette mise en scène. Fallait-il vraiment créer cette version scénique de Moby Dick ? Et, qu’en garderont les enfants présents dans le public ? Qu’ont-ils compris de cet objet un peu bancal, peut-être pas tout à fait fini ? Auront-ils envie de feuilleter le chef d’œuvre de Melville ?

Finalement, l’on se désillusionne assez vite d’une tentative pourtant pleine de promesses dont les échos résonnent parfois au détour d’une réplique effleurant les questions essentielles de l’être et de la parole.

Moby Dick
D’après Herman Melville
Adaptation : Fabrice Melquiot
Mise en scène : Matthieu Cruciani
Avec : Sharif Andoura, Arnaud Bichon, Emilie Capliez, Yann Métivier, Philippe Smith
Assistanat mise en scène et vidéo : Tünde Deak
Scénographie : Marc Lainé
Lumière : Bruno Marsol
Son : Clément Vercelleto
Costumes : Claire Risterucci

Durée : 1h10
Dès 8 ans

Théâtre de Sartrouville et des Yvelines, Centre Dramatique National
Place Jacques-Brel 78500 Sartrouville
Réservation : 01 30 86 77 79
www.theatre-sartrouville.com

Texte publié chez L’Arche Éditeur
www.arche-editeur.com

Spectacle en tournée :
Du 18 au 20 février au Théâtre du Vellein à Villefontaine,
Du 25 au 26 février au Théâtre municipal de Roanne,
Du 12 au 16 mai à la Comédie de Caen,
Du 21 au 25 mai au Théâtre national de Nice.

 

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