Critiques // Critique ・ L’école des femmes  de Molière, mise en scène de Catherine Anne

Critique ・ L’école des femmes  de Molière, mise en scène de Catherine Anne

Jan 10, 2014 | Aucun commentaire sur Critique ・ L’école des femmes  de Molière, mise en scène de Catherine Anne

ƒƒ Critique Anna Grahm

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« C’est dans les eaux claires qu’on voit le plus profond » Ariane Mnouchkine

Quand la saison égalité donne la parole aux femmes, on se rend compte qu’elles ont de la voix, du souffle et de très solides propositions à nous faire. Quand Catherine Anne monte l’École des femmes, elle parie sur une distribution exclusivement féminine, proposition qui déroute les premières minutes avant d’ouvrir du sens, et de nous conquérir. Pourtant rien n’est gagné d’avance, la scène d’ouverture est longue, touffue, et nous cherchons nos repères sans pouvoir nous raccrocher à ce qu’on a l’habitude de voir. Changer façon de voir fait sans aucun doute partie intégrante du projet. Mais l’élargissement de notre regard est chose ardue. Dès le début, nous nous heurtons à ce château biscornu, en papier mâché barbouillé de rose, un castelet marbré, posé au milieu de nulle part, qui nous fait un drôle d’effet pacotille, ajouté à cela une musique de chambre, cela donne un petit côté « puéril » qui déconcerte notre goût « du beau », un privilège que nous détestons abandonner. L’angle pris est donc étroit, et les tous premiers instants, on cherche à comprendre ce que fait cette comédienne en Arnolphe, qui derechef, nous décoiffe avec son autorité naturelle, car Marie-Armelle Deguy bouge et apostrophe son (sa ?) comparse mieux qu’un meneur de troupe. Le moins qu’on puisse dire c’est que l’on est d’emblée déstabilisé devant cette inversion des sexes, cette invasion de filles plus mecs que nature, qui, il faut l’avouer, perturbe nos habitudes de lecture. Décidemment nos vieilles manies sont détroussées. Car le déplacement qui s’opère nous fait lâcher les pratiques en usage mille fois répétées et vues et entendues. Soudain, nous suivons ces culottes de cheval en taffetas juponnées, leurs cheveux longs ébouriffés et leurs plumes au chapeau sans nous préoccuper du sexe qu’elles devraient ou auraient dû avoir. Soudain nous nous laissons embarquer dans cette histoire de jalousie et d’enfermement, sidérés par la mécanique musicale de la langue, ahuris par ces mots outils qui vous clouent le bec : « Je suis maître je parle vous obéissez « . Soudain nous découvrons qu’il s’agit aussi de dénoncer le pouvoir du langage qui sert celui qui l’utilise et rend cerf celui qui le subit.

« L’autre sexe n’est là que pour la dépendance » Arnolphe

Et puis il y a les errements de la naïve Agnès, coupée de la société et de toute connaissance du monde qui l’entoure. Sa tragédie est un véritable crève cœur. Pire. La relation de cette douce jeune fille – plus pâle que le blanc de sa robe – est conditionnée par le désir de son tuteur, désir furieux, doublé d’une absence d’humanité. « L’autre sexe n’est là que pour la dépendance » déclare cet égoïste brutal, qui n’aime que la certitude de son emprise, emprise qui se radicalise au point de devenir intolérable. Intolérable, dérangeante et absolument éclairante, la séquence du petit livre vert qui renferme « les offices de la femme » qu’Agnès doit lire. Et tandis que son propriétaire emmaillote sa chose, tandis qu’il enroule chaque centimètre de sa peau sous des bandelettes, notre cœur et le sien se soulèvent et se brisent. Assister à la disparition d’un être est un choc, pour la petite sotte une révélation qu’elle réalise trop tard. Magnifique Morgane Arbez qui incarne Agnès. Pauvre Agnès qui fait surgir toutes celles que l’on ne connaît pas, pauvre petite qui ne ressemble à rien, écrasée, effacée de la surface du globe, gardée à la maison, bien au chaud sous un voile. Dieu que c’est beau. Agnès, à qui l’amour fait pousser des ailes, Agnès, que l’amour métamorphose, Agnès, sous la houlette de son tortionnaire, qui réussit à muer sous nos yeux, qui se transforme au fil de la pièce, se transfigure, Agnès, frappée d’invisibilité qui va se battre pour exister. Au cœur de la farce, le pouls de l’injustice, le masculin qui l’emporte sur le féminin. Le coq Arnolphe qui se dessinait au début devient charognard, son bâton de cérémonie est détourné en massue, devient complot, arme du crime. Le grand échalas ne lésine pas pour garder sa proie, la confine dans l’ignorance, la tyrannise, l’enchaîne, l’assujettit. Son pouvoir de nuisance est tout à la fois grand guignolesque, drolatique et dramatique

La très classique École des femmes revue par des femmes devient très moderne. Très ancrée dans son temps. Ici des femmes ouvrent des voies pour les filles de demain. Elles s’amusent. Abusent. Se jouent des conventions. Elles sont décidemment des personnes comme les autres. Parce qu’elles ont été menées en bateau ou par le bout du nez depuis la nuit des temps, elles ont pris leurs rôles à bras le corps, elles ont changé les règles, déboulonné les codes, sans fard, sans chercher à séduire. Avec aisance, avec gravité, elles soulèvent l’ombre de la toute puissance et nous tracent un chemin d’une liberté folle. Leurs jeux limpides et réjouissants font une percée que l’on n’avait encore jamais vue.

L’école des femmes
De Molière
Mise en scène de Catherine Anne
Avec Morgane Arbez – Léna Bréban – Marie-Armelle Deguy – Océane Desroses – Caroline Espargillère – Évelyne Istria – Lucile Paysant – Stéphanie Rongeot – Mathilde Souchaud

Les 7 – 10 – 14 – 16 – 18 – 22 – 24 – 28 – 30 janvier et 1er février à 20 h sauf le jeudi à 19 h

Théâtre d’Ivry Antoine Vitez 
1 rue Simon Dereuse 94200 Ivry
Métro  Mairie d’Ivry
Du 6 janvier au 2 février 2014
Le 7, 10, 14, 16, 18, 22, 24, 28, 30 janvier et 1er février
A 20 h sauf le jeudi à 19 h
Réservation : 01 43 90 11 11.
www.theatre-quartiers-ivry.com

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