Critiques // Critique ・ « Elle brûle » de Mariette Navarro, mise en scène de Caroline Guiela Nguyen à la Colline

Critique ・ « Elle brûle » de Mariette Navarro, mise en scène de Caroline Guiela Nguyen à la Colline

Nov 18, 2013 | Aucun commentaire sur Critique ・ « Elle brûle » de Mariette Navarro, mise en scène de Caroline Guiela Nguyen à la Colline

Critique Suzanne Teïbi

Écriture au plateau, texte et improvisations

Brûlr

Elle brûle s’ouvre sur un moment de grande tension. Dans un intérieur, qui sera l’unique lieu de l’action, un noyau familial attend que la police vienne constater la mort d’Emma, que l’on voit au lointain sur son lit de mort. Le mari, la fille et la belle-mère d’Emma ont été rejoints par deux hommes, dont on ne sait rien pour l’instant. Juste que leur présence apporte quelque chose d’étrange à ce moment d’intimité extrême. Dans un jeu d’allers – retours, le spectateur va revivre le quotidien d’Emma et de sa famille, sur plusieurs mois, avant qu’elle ne se donne la mort.

Le point de départ de cette fable est un fait divers. Une femme se suicide après avoir endetté sa famille, trompé son époux, mené une double vie.

La compagnie « Les Hommes Approximatifs » s’est rendue sur les traces de cette femme pour mener une recherche qui aboutira entre autre à ce spectacle.

Le processus de travail de la compagnie et de la metteuse en scène Caroline Guiela Nguyen est passionnant. Pendant deux ans, l’équipe a construit ensemble tous les personnages, leur histoire, leur biographie qui vont constituer leur « Bible », comme l’explique l’auteure Mariette Navarro, « en référence à la façon dont travaillent les scénaristes de séries télé ». Après avoir inventé une histoire commune, et pendant le passage au plateau lors des répétitions, l’équipe – maîtrisant la vie des personnages et les évènements constitutifs de la fable – commence à poser les jalons du spectacle. Les scènes se trouvent au plateau, à partir d’improvisations des comédiens. Mariette Navarro réécrit ensuite certaines scènes. Lors de la représentation, ce travail d’improvisation se fait sentir au point qu’il semblerait qu’il subsiste d’une part des moments d’improvisations dont les enjeux sont tout de même clairement définis, et d’autre part des scènes dont le texte a été fixé. Contrairement aux scènes dont le texte est clair, précis, juste, les scènes d’improvisations anecdotisent considérablement le propos : à l’image de cette discussion père/fille qui ne parvient pas à dépasser la question du choc des générations, de nombreuses scènes ne trouvent pas d’autres enjeux que celui de faire vivre au spectateur une tranche de vie de cette famille, portée par un pseudo-réalisme empêchant toute tension dramaturgique.

D’un fait divers à Madame Bovary

Par ailleurs, si Emma est clairement une variante d’Emma Bovary – après avoir secrètement contracté plusieurs crédits qui finissent par endetter son foyer, et trompé Charles, son mari, médecin – elle finit par se suicider sans que personne n’ait rien soupçonné de son désarroi. Cette Emma ne parvient pas à s’ancrer dans le réel. Mais sa situation est extrêmement floue. Dans la première partie du spectacle, on peut se demander si elle n’est pas malade, et penser à Alzheimer. Alors que Charles a réussi à lui trouver un emploi, grâce à ses connaissances, Emma se prépare pour son premier jour de travail. Elle répète sans cesse le chemin qu’elle va prendre, l’heure à laquelle elle doit partir, et parle d’une manière très singulière. Charles prend des pincettes avec elle, la protège, et l’encourage pour cette journée difficile. Mais le moment venu, Emma ne parvient pas à sortir de chez elle. Le soir, alors que sa fille revient du collège et que son mari rentre de sa journée de travail, elle n’a pas bougé. Personne ne s’étonne vraiment de son impossibilité à sortir de son système aliénant. Mais à mesure que le quotidien d’Emma se déroule sous nos yeux, il s’avère que les blocages sociaux  restent opaques pour le spectateur, et semblent se justifier par un état de dépression. Alors que Charles, médecin, définit lui-même sa famille comme « petite-bourgeoise », la maladie de son épouse serait-elle sa condition sociale ? Lorsque l’on n’a manifestement pas besoin de travailler, parce que notre mari subvient aux besoins de toute la famille, que faire de sa vie ?  Si c’est cette question que soulève « Les Hommes Approximatifs » avec Elle brûle, difficile de comprendre ce qui en est dit, car on suit Emma comme une héroïne, sans distance aucune, jusque dans la scène de son suicide. Dès lors, cherche-t-on ici réellement à dépasser un simple traitement des problèmes existentiels des petits bourgeois ?

Elle brûle
Écriture au plateau Les hommes approximatifs
Textes : Mariette Navarro
Mise en scène : Caroline Guiela Nguyen
Scénographie : Alice Duchange
Costumes : Benjamin Moreau
Création lumière : Jérémie Papin
Création sonore : Antoine Richard
Collaboration artistique : Claire Calvi
Vidéo : Jérémie Scheidler
Masques : Phanuelle Mognetti
Avec : Boutaïna El Fekkak, Margaux Fabre, Alexandre Michel, Ruth Nüesch, Jean-Claude Oudoul, Pierric Plathier

Jusqu’au 14 décembre 2013
Du mercredi au samedi à 21h – Mardi à 19h – Dimanche à 16h

 

La Colline – Théâtre national
15, rue Malte-Brun – 75020 Paris
Métro Gambetta
Réservation : 01 44 62 52 52
http://www.colline.fr/

 

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