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Critique ・« Avant que j’oublie » de Vanessa Van Durme au Théâtre du Rond Point

Jan 13, 2014 | Aucun commentaire sur Critique ・« Avant que j’oublie » de Vanessa Van Durme au Théâtre du Rond Point

ƒƒƒ Critique Denis Sanglard

 

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© Jean-Louis Fernandez

Perdre la mémoire, n’avoir plus que des lambeaux de souvenirs, sombrer dans l’oubli de soi…  « Avant que j’oublie » n’est pas une création sur la maladie d’Alzheimer. C’est avant tout une confrontation entre une mère et sa fille, l’ultime dialogue qui les réconcilie l’une avec l’autre. Vanessa Van Durme, transexuelle, avait raconté son parcours dans Regarde maman, je danse , monologue qui vous déchirait et révélait en France l‘immense comédienne. C’est la suite, tout aussi terrible, tout aussi magnifique. Une confrontation où les souvenirs se heurtent, se contredisent, les comptes se font. La mère perd son identité quand s’affirme celle de sa fille. La mère a conscience de ce qui se délite, le corps, la langue…Ce langage qui bientôt ne veut plus rien dire. Le corps et cette langue qui sauvent la fille dans la conquête de son identité de femme. Cette relation mère-fille, miroir l’une de l’autre, est l’enjeu de cette création, l’enjeu d’une réconciliation douce-amère où les sentiments s’apaisent enfin, les ressentiments s’effacent dans l’urgence d’une mémoire qui sombre.

« Tu sais la vie…La vie que j’ai menée, toi tu t’en souviendras, mais moi… »

Pas de pathos, la grandeur de Vanessa Van Durme est justement dans cet humour terrible et corrosif, son écriture au scalpel, sa poésie aigüe. Vanessa Van Durme qui joue et la mère et la fille est absolument grandiose. Elle vous cueille à froid sans effet de manche. Point d’ exhibition, ce n‘est pas le genre de la maison, mais paradoxalement une grande pudeur.

Ce qu’elle tire de sa vie singulière c’est avant tout une nécessité artistique qui nourrit l’actrice, en fait sa force et donne à l’événement particulier une portée générale. Et c’est l’actrice qui parvient ainsi à nous guider dans les méandres d’une mémoire déchirée. Evitant tout voyeurisme, actrice trop fine pour cela, sans rien pour autant nous épargner des ravages de la maladie. Un équilibre délicatement mené. C’est la relation entre les deux femmes induite par ce qui ronge la mère et trouble la fille qui importe. Perdre sa langue c’est perdre son identité. La mère invente une autre langue, se réinvente pour cacher la perte. Le passé se mêle au présent, la mémoire n’a plus de repère, les souvenirs se fracassent, surgissent par effraction. C’est dans ses failles, ces trouées que sourd brutalement les souffrances des deux femmes qui se cherchent et se trouvent dans les fragments épars d’une mémoire émiettée.

Pourtant Vanessa Van Durme ne se laisse pas piéger par son sujet. Intelligente, aidée par une mise en scène subtile et dépouillée, elle reste toujours à la bonne distance, en équilibre délicat qui ne la voit jamais tomber dans l’exhibition vulgaire et facile. L’humour toujours qui désamorce tout aussitôt l’émotion -et la cruauté parfois- qui affleure. Car c’est une création apaisée, presque joyeuse et drôle. D’une formidable tendresse et osons le mot, d’une généreuse humanité…

Avant que j’oublie
Texte et jeu : Vanessa Van Durme
Adaptation et mise en scène : Richard Brunel
Collaboration artistique : Griet Debacker
Costumes et scénographie : Benjamin Moreau
Lumières : Kévin Briard
Son : Michaël Selam

Théâtre du Rond-Point
Salle Roland Topor
Du 9 janvier au 8 février 2014 à 21h
Dimanche 15h30, relâche les lundis
Réservations 01 44 95 98 21
www.theatredurondpoint.fr

 

 

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